vendredi 3 juin 2011

Ocean's Songs 2

  Je me souviens de l'achat du "Kriter" . Je me rends en 1975 sur le chantier dans le Dorset . Le patron du chantier me dit , pince-sans-rire : "vous savez , Olivier , les Anglais ont une mentalité de boutiquiers ." Je le regarde , un peu interdit de ce portrait qu'il me fait de ses compatriotes . Je signe le chèque et m'aperçois qu'au prix déjà conséquent s'ajoutent trois communications téléphoniques . Elles m'avaient été facturées . J'ai souri et mieux saisi ce que le patron m'avait dit par "mentalité de boutiquier" . Je venais de signer un chèque d'un million et demi de francs .
  Il est impossible de mouiller en Angleterre sans qu'un type dans sa barque ne passe dix minutes plus tard pour prélever une taxe . La gratuité n'existe pas . C'est assez déroutant pour les Latins . L'Angleterre , c'est ce mélange de grandes familles et de petites gens à la Dickens . L'Angleterre fabrique des fortunes plus vite qu'on ne monte des oeufs en neige . Ce pays est aussi la fabrique mondiale des grands exentriques et des grands auteurs à l'humour froid qui ont sur leur propre pays un regard d'une grande férocité . Evelyn Waugh reste un maître en la matière .
  Londres a été pour le monde ce que Rome fut pour la Méditerranée . Et le grand livre de comptes du monde , c'est toujours Londres qui le possède .
  Quand les Argentins ont envahi les Malouines , le lendemain , la guerre était déclarée . Maggie a fait donner les Gurkhas , cette troupe d'élite , ces coupeurs d'oreilles malais . J'ai le souvenir qu'en Françe , où l'on fredonnait trois airs de tango , on pensait que l'Argentine allait remettre les Anglais à la mer sitôt débarqués . Méconnaissance ou oubli total du fonctionnement des Anglais . Il y a huit ans , j'ai croisé au large des Malouines . Un froid terrible . Qui était sur l'eau ? Leurs fameux commandos de marine qui s'entraînaient de nuit à bord d'embarcations rapides . Si on peut dire qu'une guerre a des vertus , mais j'en doute , on dira que la guerre des Malouines a fait tomber le régime des généraux . On dira que c'est toujours ça de pris .

  J'ai toujours aimé cette grande liberté de ton chez les Anglais . Ils ne se poussent pas du col et font ce qu'ils disent . Ne sont pas agités comme nous pouvons l'être . Ils ne doutent jamais de leur légitimité . Ne sont pas inquiets . Le monde bouge ? Pas eux . Pourquoi bougeraient-ils ? L'Europe fait de l'aérobic sous leurs yeux depuis Jean Monnet . Eux , ils regardent , impassibles , la pipe au bec avec le bulldog qui dort au coin du feu . Un monde pragmatique et froid . Qu'ai-je à gagner ? Où sera mon profit ? Combien cela me coûtera ? Les attentats de Londres les ont atteints car ils pensaient que leurs grandes libertés devaient les préserver du fanatisme . Sonnés et inquiets comme jamais , mais fidèles à eux-mêmes : ne cédant pas .

  Un principe intagible malgré les moqueries : on ne joue pas la Couronne ! On ne négocie pas . Mohamed al-Fayed cherche depuis quinze ans à avoir un passeport britannique alors qu'il est propriétaire de Harrod's . Quand le voyageur continental atterit en Australie , il a devant lui deux files dans le couloir émigration : la file "british" et la "non-british" . C'est un détail qui divise définitivement le monde en deux quartiers d'oranges . Londres est une capitale qui se remplit comme une outre de millionnaires chaque jour . On dirait qu'elle a touché le coupon des mines d'or , comme si ces fortunes russes , indiennes , pakistanaises se jetaient à l'abordage de l'Angleterre .
  Après avoir aspiré les richesses du monde , elle aspire les milliardaires ukrainiens et nos artistes de varietés qui touchent ne fiscalité plus douce . L'Angleterre , c'est le goût du concret et des vérités dites . Qui choquent-elles ? Personne . Car l'Angleterre est réaliste .
  Le pays de John Bull , de la bière tiède , des poneys et de l'autodérision , ne gouverne plus le monde comme en 1829 , époque de la révolution industrielle , mais reste une citadelle morale imprenable . Il reste ancré chez les Anglais n dédain pour tout ce qui n'est pas britannique qui m'impressionne .
  Ils ne se soumettent pas à l'examen de conscience . Ils n'en éprouvent pas le besoin . Ils ont déjà cette lucidité mordante sur eux-mêmes . Ils ramènent tout à leur propre mesure . Pas de réalisme psychologique chez eux . C'est bon pour les psychanalyses qu'ils ont tous eues un jour ou l'autre en pension . L'Anglais , en quittant son île , a transporté avec lui son style net et précis . De retour chez lui , il a laissé sur place ses rêveries , si tant est qu'un jor l'Anglais ait rêvé . Sa doctrine : je prends mais je ne rends jamais tout à fait .

Un exemple ? Dans la Caraibe , les différences entre les îles anglaises et les îles françaises sautent aux yeux . Je ne prétends pas que tout est parfait dans les îles françaises mais les routes sont entretenues , les hôpitaux fonctionnent et il existe une prise en charge des plus démunis . Quand la canne à sucre n'a plus rapporté suffisamment aux Anglais , ces derniers sont partis , laissant ces îles conquises par eux à leur abandon .
  X est une zone de non-droit , une île où règne la violence . Dès que ce n'est plus exploitable , l'Anglais s'en détourne . Il ne pense pas à mal : il pense différement . Ensuite , il ne comprend rien ax soulèvements . Ne parlons pas des révolutions . Il les juge attristantes . Les Anglais que j'ai connus croyaient sincèrement qu'ils avaient apporté la liberté de l'Empire aux conquis et que c'était à eux désormais de la maintenir . Les Français n'étaient pas si éloignés de cette idée mais avaient pour les territoires de l'Empire un attachement lyrique , chose incongrue pour un anglais .
  L'Anglais a tenu les plus grands comptoirs à épices pendant deux siècles mais ne se sentit plus comptable de quoi que ce soit dès qu'il eut bouclé sa grande malle et embarqué dans le vapeur pour Londres .
  Les Français sont encore guidés par une charité évangélique et une passion héroique . C'est pour cela que les Anglais nous ont pris pour des enfants pendant si longtemps . Nigauds en fait conviendrait mieux .

 Et puis je crois surtout qu'ils n'avaient pas d'idées à exporter . Pas du tout éclairés par l'esprit de mission . Les idées de 1789 , les lumières , Jules Ferry . Eux ? Rien à faires de ces théories . Nous , en revanche , toujours prompts à s'enfièvrer , à vouloir apporter nos lumières aux aveugles . Les Anglais ont toujours su distinguer la vérité de la passion . Nous , toujours candides dans nos erreurs , véhéments et ombrageux . C'est à croire qu'ils n'avaient pas tellement d'idées à exporter dans leur conquête des Indes . Ils sont quand même arrivés à détruire tous les métiers à tisser pour tenir cette conquête dans un état de dépendance . Extraordinaire ! Comme il n'y avait pas de liens , ce fut d'autant plus facile d'abandonner ces peuples .

Nous , Français , avons colonisé comme on a évangélisé : pour construire un lien . Eux , ils ont colonisé dans un but de captation qu'ils n'ont jamais caché . Nous , si . Ils ont ensuite abdiqué leur povoir colonial plus vite que nous . Et d'ailleurs , souvent mieux que nous . Je me demande si ce n'était pas avec le certitude orgueilleuse de reproduire soixante ans plus tard leur pouvoir insulaire en faisant de Londres la capitale du monde car Londres fut la place forte de tous les commerces .
  Et nous ? On n'avait rien d'autre que notre fameux évangile républicain . Nous , on avait une mission d'amener une lumière au monde . Les Anglais , eux , n'avaient aucune mission à amener , aucune lumière à amener au monde . Qu'est-ce qu'on va pouvoir acheter ? Qu'est-ce qu'on va pouvoir vendre ? Ca s'arrêtait là . Il n'a jamais été quastion d'autre chose . J'étais présent à l'indépendance de Fidji . Le Prince Charles , en costume de grand apparat , était venu couper le lien . C'était l'indépendance de Fidji . C'es îliens n'appartenaient plus à "je-ne-sais-quoi" , à une poussière de l'Empire . Je me souviens d'une cérémonie toute simple . La patrie du travellers chèque et de l'Habeas Corpus donnait son indépendance aux Fidji .
  Il est impossible de comprendre le monde si on ignore la monarchie parlementaire .
  Le problème , c'est que nous , le pouvoir , lundi c'est Marcel , mardi , c'est Dédé ... Jeudi , c'est Léon . Bah , on s'y est fait . Il y a chez nous Français une naiveté presque intentionelle dans ces à-coups gouvernementaux . Les Anglais diront de nous , avec cette gentillesse qui cache une vacherie , que nous avons gardé un sincérité et une fraîcheur "forgée par nos successives républiques" . Il y a chez les Anglais une métrique impitoyable . Nous , c'est le vers libre , c'est pour cela que notre voisin nous range chez les romantiques . L'Anglais croit autant en lui-même qu'il croit en Dieu . Nous , on croit aux belles âmes , à la psychologie , à Emma Bovary . Difficile de lutter contre ce voisin qui a inventé le double caméralisme et les coffres-forts , a publié Karl Marx et donné naissance aux Sex Pistols .

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