mardi 28 juin 2011

Strawberry jars forever

" Dieu terrasse l'Homme ; l'Homme déboulonne Dieu ; et alors que le mal étend son empire, les mères continuent de faire leurs conserves de fraises. "

mercredi 22 juin 2011

Des barbelés dans la prairie



Fascisme à visage Humain

                                                     





Socialisme à visage Humain







dimanche 19 juin 2011

Lever matin n’est point bonheur






L’estude de Gargantua, selon la discipline de ses precepteurs sophistes.

    CHAPITRE XXI

Les premiers jours ainsi passez et les cloches remises en leur lieu, les citoyens de Paris , par recongnoissance
de ceste honnesteté , se offrirent d’entretenir et nourrir sa jument tant qu’il luy plairoit , - ce que Gargantua
print bien à gré , - et l’envoyerent vivre en la forest de Biere. Je croy qu’elle n’y soyt plus maintenant. Ce
faict, voulut de tout son sens estudier à la discretion de Ponocrates; mais icelluy, pour le commencement,
ordonna qu’il feroit à sa maniere accoustumée, affin d’entendre par quel moyen, en si long temps, ses
antiques precepteurs l’avoient rendu tant fat, niays et ignorant.
  Il dispensoit doncques son temps en telle façon que ordinairement il s’esveilloit entre huyt et neuf heures,
feust jour ou non; ainsi l’avoient ordonné ses regens antiques, alleguans ce que dict David :
ante lucem surgere
  Puis se guambayoit, penadoit et paillardoit parmy le lict quelque temps pour mieulx esbaudir ses esperitz
animaulx ; et se habiloit selon la saison, mais voluntiers portoit il une grande et longue robbe de grosse frize
fourrée de renards; après se peignoit du peigne de Almain, c’estoit des quatre doigtz et le poulce, car ses
precepteurs disoient que soy aultrement pigner, laver et nettoyer estoit perdre temps en ce monde.
Puis fiantoit, pissoyt, rendoyt sa gorge, rottoit, pettoyt, baisloyt, crachoyt, toussoyt, sangloutoyt, esternuoit et
se morvoyt en archidiacre , et desjeunoyt pour abatre la rouzée et maulvais aer : belles tripes frites, belles
charbonnades, beaulx jambons, belles cabirotades et forces soupes de prime .
Ponocrates luy remonstroit que tant soubdain ne debvoit repaistre au partir du lict sans avoir premierement
faict quelque exercice. Gargantua respondit :
  « Quoy ! n’ay je faict suffisant exercice ? Je me suis vaultré six ou sept tours parmi le lict davant que me
lever. Ne est ce assez? Le pape Alexandre ainsi faisoit, par le conseil de son medicin Juif, et vesquit jusques
à la mort en despit des envieux. Mes premiers maistres me y ont acoustumé, disans que le desjeuner faisoit
bonne memoire; pour tant y beuvoient les premiers. Je m’en trouve fort bien et n’en disne que mieulx. Et me
disoit Maistre Tubal (qui feut premier de sa licence à Paris) que ce n’est tout l’advantaige de courir bien
toust, mais bien de partir de bonne heure; aussi n’est ce la santé totale de nostre humanité boyre à tas, à tas,
à tas, comme canes, mais ouy bien de boyre matin;
Lever matin n’est poinct bon heur ;
Boire matin est le meilleur.


 
Après avoir bien à poinct desjeuné, alloit à l’église, et luy pourtoit on dedans un grand penier un gros
breviaire empantophlé, pesant, tant en gresse que en fremoirs et parchemin, poy plus poy moins, unze
quintaulx six livres. Là oyoit vingt et six ou trente messes. Ce pendent venoit son diseur d’heures en place
empaletocqué comme une duppe, et très bien antidoté son alaine à force syrop vignolat; avecques icelluy
marmonnoit toutes ces kyrielles, et tant curieusement les espluchoit qu’il n’en tomboit un seul grain en terre.
Au partir de l’eglise, on luy amenoit sur une traine à beufz un faratz de patenostres de Sainct Claude, aussi
grosses chascune qu’est le moulle d’un bonnet, et, se pourmenant par les cloistres, galeries ou jardin, en
disoit plus que seze hermites.
Puis estudioit quelque meschante demye heure, les yeulx assis dessus son livre; mais (comme dict le
comicque) son ame estoit en la cuysine.
Pissant doncq plein urinal, se asseoyt à table, et, par ce qu’il estoit naturellement phlegmaticque, commençoit
son repas par quelques douzeines de jambons, de langues de beuf fumées, de boutargues, d’andouilles, et telz aultres avant coureurs de vin .

  Ce pendent quatre de ses gens luy gettoient en la bouche, l’un après l’aultre, continuement, moustarde à
pleines palerées. Puis beuvoit un horrificque traict de vin blanc pour luy soulaiger les roignons. Après,
mangeoit, selon la saison, viandes à son appetit, et lors ces soit de manger quand le ventre luy tiroit.
A boyre n’avoit poinct fin ny canon, car il disoit que les metes et bournes de boyre estoient quand, la
personne beuvant, le liege de ses pantoufles enfloit en hault d’un demy pied.

jeudi 16 juin 2011

Le Couvercle


En quelque lieu qu'il aille , ou sur mer ou sur terre ,
Sous un climat de flamme ou sous un soleil blanc ,
Serviteur de Jésus , courtisan de Cythère ,
Mendiant ténébreux ou Crésus rutilant ,

Citadin , campagnard , vagabond , sédentaire ,
Que son petit cerveau soit actif ou soit lent ,
Partout l'homme subit la terreur du mystère ,
Et ne regarde en haut qu'avec un oeil tremblant .

En haut , le Ciel ! ce mur de caveau qui l'étouffe ,
Plafond illuminé pour un opéra bouffe
Où chaque histrion foule un sol ensanglanté ;

Terreur du libertin , espoir du fol ermite ;
Le Ciel ! Couvercle noir de la grande marmite
Où bout l'imperceptible et vaste humanité .

lundi 13 juin 2011

Hommage au Père

Un jour un voyageur d'un pays antique
Me dit : « Deux énormes jambes en pierre , dépourvues de tronc ,
Se dressent dans le désert... Auprès d'elles, dans le sable ,
À moitié enterré gît un visage fracassé , dont le front renfrogné

La lèvre retroussée , le sourire d'une froide autorité,
Proclament que le sculpteur savait lire les passions
Qui, imprimées sur ses choses sans vie , survivent encore
À la main qui les imita comme au cœur qui les nourrit ;

Et sur le piédestal on pouvait lire ces mots :
Je suis Ozymandias , Roi des rois ,
Contemple mon œuvre Ô tout-puissant , et désespère !

Rien à part cela ne reste. Autour des décombres
De ce colossal naufrage , s'étendent dans le lointain
Les sables solitaires et plats , vides jusqu'à l'horizon »

 Percy Bysshe Shelley , Ozymandias


 

mercredi 8 juin 2011

John Barleycorn

  A l'âge de quinze ans à peine , je travaillais de longues heures dans une fabrique de conserves . L'une dans l'autre , mes journées les plus courtes étaient de dix heures . Si à ces dix heures de travail effectif devant une machine l'on ajoute celle du déjeuner , le temps employé pour me rendre à l'usine et rentrer chez moi ; le matin , à me lever , m'habiller , et déjeuner ; le soir , à dîner , me dévêtir et me coucher , il ne restait des vingt-quatres heures de la journée que les neufs heures de sommeil nécessaires à un jeune gaillard comme moi .
  Sur ces neuf heures , dès que j'étais au lit et avant que mes yeux ne s'alourdissent , je m'arrangeais pour voler un peu de temps que je consacrais à la lecture .
  Mais bien souvent je ne quittais pas l'usine avant minuit . Parfois je trimais dix-huit et vingt heures d'affilée . Une fois même , je restai à ma machine trente-six heures consécutives . Il s'écoula des semaines entières durant lesquelles je ne lâchais pas ma besogne avant onze heures ; ces jours-là , je rentrais me coucher à minuit passé ; on m'appelait à cinq heures et demie pour m'habiller , manger , courir au travail et je me retrouvais à mon poste au coup de sifflet de sept heures . Impossible alors de dérober le moindre instant pour mes chers bouquins .
  Mais , direz-vous , quel rôle pouvait jouer John Barleycorn (ndm : surnom de l'alcool) dans cette tâche éreintante , acceptée stoiquement , d'un gosse qui avait à peine atteint ses quinze ans ? Il en jouait un très grand , et je vais vous le démontrer . Souvent , je me demandais si le but de la vie était de nous transformer ainsi en bêtes de somme . Pas un cheval , dans la ville d'Oakland , ne peinait aussi longtemps que moi . Si c'était là l'existence , je n'en raffolais pas .
  Je me rappelais mon petit bateau , amarré au quai et dont le fond s'incrustait maintenant de coquillages ; je me rappelais le vent qui soufflait tous les jours dans la baie , les levers et couchers de soleil que je ne voyais plus ; la morsure de l'air salin dans mes narines et de l'eau salée sur ma chair quand je plongeais par-dessus bord ; je me rappelais toute la beauté , les merveilles et les jouissances sensuelles du monde dont on  me privait .
  Il n'y avait qu'un moyen d'échapper à ce métier abrutissant : partir au loin sur l'eau et y gagner mon pain . Or la vie de marin conduisait inévitablement à John Barleycorn . Je l'ignorait . Et quand je m'en rendis compte , j'eus tout de même assez de courage pour ne pas me laisser happer de nouveau par l'existence bestiale que je menais en usine .
  Je voulais me laisser emporter par les vents de l'aventure . Or , ils soufflaient sur les cotres des pirates et les éparpillaient d'un bout à l'autre de la baie de San Francisco , depuis les bancs d'huîtres et les hauts-fonds sur lequels on se battait la nuit , jusqu'au marché matinal , le long des quais , où les revendeurs ambulants et les hôteliers descendaient acheter la marée .
  Toute incursion sur les parcs à huîtres était un délit payé par la prison , la livrée infamante ou les fers . Et après ? Les bagnards fournissaient des journées moins longues que les miennes à l'usine . Et j'entrevoyait une existence cent fois plus romanesque comme pilleur d'huîtres ou même forçat qu'a demeurer esclave de la machine .
  Derrière tout cela , ma jeunesse débordante percevait le chuchotement du romanesque , l'invite de l'aventure . Je fit part de mes désirs à Mammy Jennie , la vieille noire qui m'avait allaité . Plus prospère que mes parents , elle soignait des malades et gagnait d'assez bonnes semaines . Je lui demandai si elle consentirait à prêter de l'argent à son "nourrisson blanc" ! Si elle consentait ? Tout ce qu'elle possédait était à moi .
  Puis je me mis en quête de Frank-le-Français , un pilleur d'huîtres , qui , disait-on , cherchait à vendre son sloop , le Razzle Dazzle . Je découvris le bateau ancré dans la partie de l'estuaire voisine de l'Alameda , près du pont de Webster . A bord se trouvait des visiteurs que Franck régalait de vin . Il monta sur le pont pour discuter de l'affaire . Il voulait bien vendre , mais c'était dimanche et cet après-midi là il recevait des invités . Le lendemain , me dit-il , il rédigerait l'acte de vente et je pourait entrer en possession . Entre-temps , il me pria de descendre pour me présenter à ses amis : je vis là deux soeurs , Mamie et Tess , une dame Hadley , qui les chaperonnait ; Whisky Bob , un jeune pilleur d'huîtres de seize ans , et healey-l'Araignée , un rat de quai à favoris noirs , d'une vingtaine d'années .
[...]
  Franck-le-Français versa un gobelet de vin rouge d'une énorme dame-jeanne pour sceller notre marché . Je me rappelai le vin rouge du ranch italien , et frémis intérieurement . Le whisky et la bière me répugnaient moins . Mais la Reine des Pilleurs d'huîtres me regardait , un verre à demi-vide en main .
  J'avais ma fierté . Moi , un homme - de quinze ans il est vrai - je pouvais me montrer à la hauteur . En outre , je voyais sa soeur en Mme Hadley , ainsi que le jeune pilleur d'huîtres , et le rat de quai moustachu , et tout le monde avait un verre à la main . Allais-je passer pour une poule mouillée ? Non , mille fois non . Plutôt boire mille verres ! J'ingurgitai comme un homme le gobelet plein jusqu'au bord .
  Franck-le-Français était enchanté du marché que je venais de conclure en lui remettant , comme arrhes , une pièce d'or de vingt dollars . Il versa de nouvelles rasades . Je m'étais découvert une tête solide et un estomac à toute épreuve , et je me sentais de force à boire modérément avec eux , sans m'empoisonner pour toute une semaine . Je pouvait tenir aussi bien le coup qu'eux , d'autant qu'ils avaient commencé avant moi .
[...]
  Bientôt la Reine se mit à me faire la cour , à moi , dernier venu de la flotte des pirates - non pas simple matelot , mais capitaine propriétaire . Elle m'emmena prendre l'air sur le pont . Naturellement , elle n'était pas sans savoir que Franck-le-Français se mordait les poings de rage en bas - ce que j'ignorais totalement .
[...]
  Nul , plus que moi , n'était capable de savourer la situation . Dans cette atmosphère de bohême , je ne pouvait m'empêcher de comparer mon rôle actuel avec celui de la veille lorsque , installé devant ma machine dans une atmosphère renfermée et suffocante , je répétais sans relâche et à toute vitesse les mêmes gestes d'automates .
  Ici , le verre en main , je partageais la chaude camaraderie de ces aventuriers qui refusaient de s'assujettir à la même routine , narguaient les contraintes légales , et risquaient comme ils l'entendaient leur vie et leur liberté . C'est encore John Barleycorn qui m'avait mêlé à cette superbe compagnie d'âmes sans frein , sans peur et sans vergogne !
  La brise de mer me picotait les poumons et frisait les vagues au milieu du chenal . Devant elle avançaient à la file les gabares plates , réclamant à grands coups de sirènes l'ouverture des ponts tournants . Des remorqueurs aux cheminées rouges passaient à toute vitesse , berçant le Razzle Dazzle dans leur sillage . Un bateau sucrier sortait du "boneyard" en remorque ver la mer . Le soleil miroitait sur la face ondulée et la vie était formidable .
[...]
  Le voilà bien , le stimulant de l'esprit de révolte , d'aventure , de romanesque , des choses interdites et accomplies avec défi et noblesse . Je savais que le lendemain je ne reprendrais pas ma place à la machine , dans la fabrique de conserve . Demain , je serais un flibustier , aussi libre qu'on peut l'être dans notre siècle et dans les parages de San Francisco .
 Enfin mon rêve se réalisait ! J'allais dormir sur l'eau , m'éveiller sur l'eau , sur l'eau je passerais ma vie !


Réalisme

samedi 4 juin 2011

Parabole des Talents

Evangile selon Saint-Matthieu , Ch. 25 , v. 14-30

Car il en est comme d'un homme qui, partant pour un voyage, appela ses serviteurs et leur remit ses biens ; et à l'un il donna cinq talents, à l'autre deux, à l'autre un ; à chacun selon sa force particulière, et il partit.
  Aussitôt celui qui avait reçu les cinq talents s'en alla, les fit valoir, et il gagna cinq autres talents . De même aussi celui qui en avait deux, en gagna deux autres. Mais celui qui en avait reçu un, s'en étant allé, creusa dans la terre, et y cacha l'argent de son seigneur. Or, après un long temps, le seigneur de ces serviteurs vient, et il règle compte avec eux. Et celui qui avait reçu les cinq talents, s'approchant, présenta cinq autres talents, et dit : Seigneur, tu m'as remis cinq talents ; en voici cinq autres que j'ai gagnés .
 Son seigneur lui dit : Bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle en peu de chose, je t'établirai sur beaucoup, entre dans la joie de ton seigneur. Celui qui avait reçu les deux talents, s'approchant aussi, dit : Seigneur, tu m'as remis deux talents ; en voici deux autres que j'ai gagnés. Son seigneur lui dit : Bien, serviteur bon et fidèle ; tu as été fidèle en peu de chose, je t'établirai sur beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur. Mais celui qui avait reçu un talent, s'approchant aussi, dit : Seigneur, je savais que tu es un homme dur, qui moissonnes où tu n'as pas semé, et qui ramasses où tu n'as pas répandu ; et ayant craint, je suis allé, et j'ai caché ton talent dans la terre ; voici, tu as ce qui est à toi.
 Mais son seigneur lui répondit : Méchant et paresseux serviteur, tu savais que je moissonne où je n'ai pas semé, et que je ramasse où je n'ai pas répandu ;  il te fallait donc porter mon argent aux banquiers, et à mon retour j'aurais retiré ce qui est à moi avec l'intérêt . Otez-lui donc le talent, et le donnez à celui qui a les dix talents.
 Car à tout homme qui a, il sera donné, et il sera dans l'abondance ; mais à celui qui n'a pas, on lui ôtera même ce qu'il a .  Et jetez le serviteur inutile dans les ténèbres de dehors ; là seront les pleurs et le grincement des dents.

vendredi 3 juin 2011

Castoriadis

« Le capitalisme n’a pu fonctionner que parce qu’il a hérité d'une série de types anthropologiques qu’il n’a pu créer lui-même : des juges incorruptibles, des fonctionnaires intègres et weberiens, des éducateurs qui se consacrent à leur vocation, des ouvriers qui ont un minimum de conscience professionnelle, etc. Ces types ne surgissent pas et ne peuvent pas surgir d’eux-mêmes, ils ont été crées dans des périodes historiques antérieures, par référence à des valeurs alors consacrées et incontestables : l’honnêteté, le service de l’état, la transmission du savoir, la belle ouvrage, etc. Or nous vivons dans des sociétés où ces valeurs sont, de notoriété publique, devenues dérisoires, où seuls comptent la quantité d’argent que vous avez empoché, peu importe comment, ou le nombre de fois où vous êtes apparu à la télévision. »

Ocean's Songs 2

  Je me souviens de l'achat du "Kriter" . Je me rends en 1975 sur le chantier dans le Dorset . Le patron du chantier me dit , pince-sans-rire : "vous savez , Olivier , les Anglais ont une mentalité de boutiquiers ." Je le regarde , un peu interdit de ce portrait qu'il me fait de ses compatriotes . Je signe le chèque et m'aperçois qu'au prix déjà conséquent s'ajoutent trois communications téléphoniques . Elles m'avaient été facturées . J'ai souri et mieux saisi ce que le patron m'avait dit par "mentalité de boutiquier" . Je venais de signer un chèque d'un million et demi de francs .
  Il est impossible de mouiller en Angleterre sans qu'un type dans sa barque ne passe dix minutes plus tard pour prélever une taxe . La gratuité n'existe pas . C'est assez déroutant pour les Latins . L'Angleterre , c'est ce mélange de grandes familles et de petites gens à la Dickens . L'Angleterre fabrique des fortunes plus vite qu'on ne monte des oeufs en neige . Ce pays est aussi la fabrique mondiale des grands exentriques et des grands auteurs à l'humour froid qui ont sur leur propre pays un regard d'une grande férocité . Evelyn Waugh reste un maître en la matière .
  Londres a été pour le monde ce que Rome fut pour la Méditerranée . Et le grand livre de comptes du monde , c'est toujours Londres qui le possède .
  Quand les Argentins ont envahi les Malouines , le lendemain , la guerre était déclarée . Maggie a fait donner les Gurkhas , cette troupe d'élite , ces coupeurs d'oreilles malais . J'ai le souvenir qu'en Françe , où l'on fredonnait trois airs de tango , on pensait que l'Argentine allait remettre les Anglais à la mer sitôt débarqués . Méconnaissance ou oubli total du fonctionnement des Anglais . Il y a huit ans , j'ai croisé au large des Malouines . Un froid terrible . Qui était sur l'eau ? Leurs fameux commandos de marine qui s'entraînaient de nuit à bord d'embarcations rapides . Si on peut dire qu'une guerre a des vertus , mais j'en doute , on dira que la guerre des Malouines a fait tomber le régime des généraux . On dira que c'est toujours ça de pris .

  J'ai toujours aimé cette grande liberté de ton chez les Anglais . Ils ne se poussent pas du col et font ce qu'ils disent . Ne sont pas agités comme nous pouvons l'être . Ils ne doutent jamais de leur légitimité . Ne sont pas inquiets . Le monde bouge ? Pas eux . Pourquoi bougeraient-ils ? L'Europe fait de l'aérobic sous leurs yeux depuis Jean Monnet . Eux , ils regardent , impassibles , la pipe au bec avec le bulldog qui dort au coin du feu . Un monde pragmatique et froid . Qu'ai-je à gagner ? Où sera mon profit ? Combien cela me coûtera ? Les attentats de Londres les ont atteints car ils pensaient que leurs grandes libertés devaient les préserver du fanatisme . Sonnés et inquiets comme jamais , mais fidèles à eux-mêmes : ne cédant pas .

  Un principe intagible malgré les moqueries : on ne joue pas la Couronne ! On ne négocie pas . Mohamed al-Fayed cherche depuis quinze ans à avoir un passeport britannique alors qu'il est propriétaire de Harrod's . Quand le voyageur continental atterit en Australie , il a devant lui deux files dans le couloir émigration : la file "british" et la "non-british" . C'est un détail qui divise définitivement le monde en deux quartiers d'oranges . Londres est une capitale qui se remplit comme une outre de millionnaires chaque jour . On dirait qu'elle a touché le coupon des mines d'or , comme si ces fortunes russes , indiennes , pakistanaises se jetaient à l'abordage de l'Angleterre .
  Après avoir aspiré les richesses du monde , elle aspire les milliardaires ukrainiens et nos artistes de varietés qui touchent ne fiscalité plus douce . L'Angleterre , c'est le goût du concret et des vérités dites . Qui choquent-elles ? Personne . Car l'Angleterre est réaliste .
  Le pays de John Bull , de la bière tiède , des poneys et de l'autodérision , ne gouverne plus le monde comme en 1829 , époque de la révolution industrielle , mais reste une citadelle morale imprenable . Il reste ancré chez les Anglais n dédain pour tout ce qui n'est pas britannique qui m'impressionne .
  Ils ne se soumettent pas à l'examen de conscience . Ils n'en éprouvent pas le besoin . Ils ont déjà cette lucidité mordante sur eux-mêmes . Ils ramènent tout à leur propre mesure . Pas de réalisme psychologique chez eux . C'est bon pour les psychanalyses qu'ils ont tous eues un jour ou l'autre en pension . L'Anglais , en quittant son île , a transporté avec lui son style net et précis . De retour chez lui , il a laissé sur place ses rêveries , si tant est qu'un jor l'Anglais ait rêvé . Sa doctrine : je prends mais je ne rends jamais tout à fait .

Un exemple ? Dans la Caraibe , les différences entre les îles anglaises et les îles françaises sautent aux yeux . Je ne prétends pas que tout est parfait dans les îles françaises mais les routes sont entretenues , les hôpitaux fonctionnent et il existe une prise en charge des plus démunis . Quand la canne à sucre n'a plus rapporté suffisamment aux Anglais , ces derniers sont partis , laissant ces îles conquises par eux à leur abandon .
  X est une zone de non-droit , une île où règne la violence . Dès que ce n'est plus exploitable , l'Anglais s'en détourne . Il ne pense pas à mal : il pense différement . Ensuite , il ne comprend rien ax soulèvements . Ne parlons pas des révolutions . Il les juge attristantes . Les Anglais que j'ai connus croyaient sincèrement qu'ils avaient apporté la liberté de l'Empire aux conquis et que c'était à eux désormais de la maintenir . Les Français n'étaient pas si éloignés de cette idée mais avaient pour les territoires de l'Empire un attachement lyrique , chose incongrue pour un anglais .
  L'Anglais a tenu les plus grands comptoirs à épices pendant deux siècles mais ne se sentit plus comptable de quoi que ce soit dès qu'il eut bouclé sa grande malle et embarqué dans le vapeur pour Londres .
  Les Français sont encore guidés par une charité évangélique et une passion héroique . C'est pour cela que les Anglais nous ont pris pour des enfants pendant si longtemps . Nigauds en fait conviendrait mieux .

 Et puis je crois surtout qu'ils n'avaient pas d'idées à exporter . Pas du tout éclairés par l'esprit de mission . Les idées de 1789 , les lumières , Jules Ferry . Eux ? Rien à faires de ces théories . Nous , en revanche , toujours prompts à s'enfièvrer , à vouloir apporter nos lumières aux aveugles . Les Anglais ont toujours su distinguer la vérité de la passion . Nous , toujours candides dans nos erreurs , véhéments et ombrageux . C'est à croire qu'ils n'avaient pas tellement d'idées à exporter dans leur conquête des Indes . Ils sont quand même arrivés à détruire tous les métiers à tisser pour tenir cette conquête dans un état de dépendance . Extraordinaire ! Comme il n'y avait pas de liens , ce fut d'autant plus facile d'abandonner ces peuples .

Nous , Français , avons colonisé comme on a évangélisé : pour construire un lien . Eux , ils ont colonisé dans un but de captation qu'ils n'ont jamais caché . Nous , si . Ils ont ensuite abdiqué leur povoir colonial plus vite que nous . Et d'ailleurs , souvent mieux que nous . Je me demande si ce n'était pas avec le certitude orgueilleuse de reproduire soixante ans plus tard leur pouvoir insulaire en faisant de Londres la capitale du monde car Londres fut la place forte de tous les commerces .
  Et nous ? On n'avait rien d'autre que notre fameux évangile républicain . Nous , on avait une mission d'amener une lumière au monde . Les Anglais , eux , n'avaient aucune mission à amener , aucune lumière à amener au monde . Qu'est-ce qu'on va pouvoir acheter ? Qu'est-ce qu'on va pouvoir vendre ? Ca s'arrêtait là . Il n'a jamais été quastion d'autre chose . J'étais présent à l'indépendance de Fidji . Le Prince Charles , en costume de grand apparat , était venu couper le lien . C'était l'indépendance de Fidji . C'es îliens n'appartenaient plus à "je-ne-sais-quoi" , à une poussière de l'Empire . Je me souviens d'une cérémonie toute simple . La patrie du travellers chèque et de l'Habeas Corpus donnait son indépendance aux Fidji .
  Il est impossible de comprendre le monde si on ignore la monarchie parlementaire .
  Le problème , c'est que nous , le pouvoir , lundi c'est Marcel , mardi , c'est Dédé ... Jeudi , c'est Léon . Bah , on s'y est fait . Il y a chez nous Français une naiveté presque intentionelle dans ces à-coups gouvernementaux . Les Anglais diront de nous , avec cette gentillesse qui cache une vacherie , que nous avons gardé un sincérité et une fraîcheur "forgée par nos successives républiques" . Il y a chez les Anglais une métrique impitoyable . Nous , c'est le vers libre , c'est pour cela que notre voisin nous range chez les romantiques . L'Anglais croit autant en lui-même qu'il croit en Dieu . Nous , on croit aux belles âmes , à la psychologie , à Emma Bovary . Difficile de lutter contre ce voisin qui a inventé le double caméralisme et les coffres-forts , a publié Karl Marx et donné naissance aux Sex Pistols .