lundi 30 mai 2011

J'ai lu Zola .

Intégration


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1689

Les priorités des nouveaux arrivants furent de cultiver des céréales afin de pouvoir se nourrir et de pratiquer un minimum d'élevage pour disposer de produits d'un rapport immédiat . Ce n'est qu'ensuite qu'ils plantèrent vignes et arbres fruitiers . Grâce à eux la région de Paarl et la vallée du Berg devinrent des régions fruitières . Ils y plantèrent également des chênes dont la légende veut que les glands qui leur donnèrent naissance soient venus de France . Les Hugenots de Provence plantèrent des oliviers dans la région de Paarl .
  Les rapports entre l'administration hollandaise et les nouveaux colons furent exellents durant les premières années et le gouverneur Simon Van der Stel accepta même d'être le parrain de Catherine , la fille aînée du pasteur Simond . Il reçut donc très mal la demande de création d'un consistoire français à Stellenbosch alors qu'il en existaient déjà un , mais il était Hollandais ; or , les Français ne voulaient ne voulaient plus dépendre de lui , désirant avoir leur propre temple dans lequel on parlerait français . Le 28 novembre 1689 , Pierre Simond , Jacques de Savoye , Daniel de Ruelle , Abraham de Villiers et Louis Cordier déposèrent un mémoire en ce sens . Simon Van der Stel en fut indigné . Le pasteur Simond qui était considéré comme le meneur de l'affaire fut convoqué par le Conseil de gouvernement qui assistait le gouverneur . Le procès-verbal de la réunion indique que :

  " Le Révérend Simond fut prié de lire le serment prêté par tous les colons , puis ils furent renvoyés , après avoir été sérieusement avertis de se conduire strictement en conformité avec les texte du serment , d'éviter à l'avenir de troubler la communauté et le Conseil par des demandes aussi impertinentes , et de se contenter du consistoire de Stellenbosch ."



  Les réfugiés ne s'inclinèrent pas et ils sollicitèrent l'arbitrage du Conseil des Dix-sept qui décida que les offices pour les Français se feraient en alternance à Stellenbosch et à Drackenstein , mais obligation fut faite aux enfants d'apprendre le hollandais . La VOC décida également de ne plus envoyer de colons hugenots dans la colonie hollandaise du Cap .


Les centaines de milliers de Sud-Africains qui portent les noms de Jacobs (ex-Jacob) , Nel , Du Plessis , Fourie (ex-Fourié) , Du Toit , Le Roux ou Roux , Viljoen (ex-Villon) , Marais , Joubert , Du Preez (ex-Du Pré) , Pienaar (ex-Pinard) , De Villiers , Barnard , Lombard , Théron , Fouché , De Klerk (ex-Leclerc) , Cilliers (Celliers , Cillie) , Du Buisson , Delport , Terblanche (ex-Terreblanche) , Meerman (ex-Mourmant) , Nortije (ex-Nortier) , Joordan (ex-Jourdan) , Gaus (ex-Gaucher) , Senekal (ex-Sénéchal) , etc. , sont les descandants de cette poignée de réfugiés .

Bernard Lugan , Histoire de l'Afrique du Sud .





2006

Le très controversé “test d’intégration civique” que doivent subir les étrangers désireux de s’installer aux Pays-Bas depuis le 15 mars 2006 dans leur pays d’origine pour plus de trois mois, sera-t-il bientôt relégué au rang de fâcheux souvenir ? Probablement.


Un tribunal d’Amsterdam vient en effet de trancher en faveur d’une Marocaine qui a échoué à l’examen oral censé évaluer les connaissances du candidat à l’immigration en langue, histoire et culture néerlandaises. Il se peut que cette décision judiciaire pour le moins inattendue fasse jurisprudence et mette fin à un test jugé clairement discriminatoire à l’égard des candidats de condition socio-économique modeste issus des pays musulmans et en voie de développement en général (Maghreb, Afrique noire, Moyen-Orient, etc), ledit examen ne concernant pas les ressortissants de l’Union européenne, de Suisse, des USA, du Japon et d’Australie.
A l’instar des candidats au départ hautement qualifiés (ayant un salaire supérieur à 4500 euros mensuels), les filles au pair et les étudiants étrangers, également exemptés du fameux test. Les médias du pays des Tulipes soutiennent toutefois que l’examen en question demeurera certainement un passage obligé pour ceux qui veulent vivre aux Pays-Bas pour d’autres motifs que le mariage ou le regroupement familial (lui-même accordé uniquement aux étrangers ayant plus de 21 ans munis d’un titre de séjour et gagnant au moins 30% de plus que le revenu minimum).
Cette dernière affaire risque bien de contrarier la ministre néerlandaise de l’Intégration et de l’Immigration. Rita Verdonk, désormais connue sous le sobriquet Iron Rita, est l’initiatrice de ce test polémique, pour lequel les candidats à l’immigration doivent par ailleurs payer 350 euros au ministère des Affaires étrangères hollandais à chaque passage.
Les associations d’immigrés, les partis de gauche ainsi que les défenseurs des droits de l’Homme en Hollande ont signé là une deuxième victoire. En effet, la décision du tribunal d’Amsterdam intervient un peu plus de deux ans après que les autorités néerlandaises aient décidé de retirer du pack de préparation audit test un DVD comprenant les scènes d’une femme bronzant nue sur la plage et du flirt entre deux homosexuels.



Mais la guerre contre la xénophobie est loin d’être gagnée dans un pays comptant près de 800.000 étrangers sur un total de 16 millions d’habitants, dont 350.000 Marocains et presque autant de Turcs.
Comme l’a déjà souligné Tofik Dibi, député écologiste d’origine turque, dans le quotidien français Libération du 3 avril 2007, ces tests élémentaires de citoyenneté, imposés pareillement à tous les étrangers non européens et non naturalisés arrivés aux Pays-Bas après 1975 (soit près de 375.000 personnes) n’ont fait que mettre à nu une véritable « tragédie de l’intégration » avec un taux de réussite excédant rarement les 35%... Dans un pays où 600.000 immigrés ne parlent même pas la langue locale.
Pour d’aucuns, la fracture entre la communauté d’origine étrangère, et plus spécifiquement celle de confession musulmane, et le reste de la population est bien plus ancienne que certains ne le prétendent. L’assassinat à coup de balles et de couteau, le 2 novembre 2004, du cinéaste Théo Van Gogh par le jeune islamiste radical d’origine marocaine, Mohamed Bouyeri, pour son film Soumission, court-métrage se voulant pamphlet incendiaire contre la condition des Musulmanes, et réalisé en collaboration avec l’ex-députée d’origine somalienne Ayaan Hirsi Ali, n’a fait que raviver ce malaise intercommunautaire.
Malaise nourri de préjugés sur l’autre, eux-mêmes alimentés par un mode de vie quasi-ghettoïsé, les 600 différentes ethnies et nationalités que compte la Hollande se mêlant rarement entre elles. Durcissement
Et, plus de 40 ans après les premières vagues de migration économique, les chiffres sont là, têtus et éloquents : le chômage touche près de 22% de la communauté marocaine, contre 6% de la population active du reste du Pays-Bas.

Ocean's Songs 1


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Les Anglais que j'ai rencontrés dans les années soixante-dix étaient souvent dans le principe d'action . Trente ans plus tard , mon avis sur eux n'a pas changé . Ils possèdent une âme qui jamais ne se livre ni s'étale . Un dévouement au devoir , le service fait au royaume , à son pays , à la reine , mais pas forcément à son prochain .
  L'Anglais restera le maître de la dispense . L'empreinte laissée par l'Angleterre a été absorbée par le grand buvard du monde . C'est une île qui est allée chercher son bien ailleurs parce que le monde insulaire était un monde rude , aux classes bien marquées , excessivement naturaliste et déjà surindustrialisé . Le fait d'habiter une île a conduit chaque Anglais à prendre un jour le bateau . Pendant cinq siècles , les marins anglais ont été les maîtres des mers . C'était un besoin vital , et puis dès qu'on prend la mer , le monde n'a plus de limites .




Pas un animal n'a manqué à l'Empire . Ils furent tous un jour dans son grand zoo . Le léopard était anglais . L'ornithorynque , avant d'être un mammifère qui pond des oeufs , était anglais . Comme le boxer à poils dur .
  Les Anglais ont légué leur langue au monde . Le seul acte gracieux à mettre à leur crédit . Ensuite , ils ont fait croire au monde entier ce qui était chic et ce qui ne l'était pas . Saluons bien bas ce tour de force !
  Montesquieu plaçait très haut l'Angleterre : "Le pays de la liberté de conscience et du commerce ." Mais moi , la mode de l'anglophilie ne m'a jamais touché malgré une proximité géographique .
  Pour les avoir cotoyés sur mer comme à terre , je peut témoigner que les Anglais n'ont jamais cédé aux coutumes locales .
  Nous , Français , quand on envoyait un gouverneur en Polynésie , il quittait la métropole en uniforme sur lequel ne manquait pas un bouton . Puis rentrait en métropole en paréo . Eux envoyaient leur gouverneur à Fidji , droit comme la justice . Quand le gouverneur quittait le Pacifique , la moitié de Fidji s'habillait comme lui . C'est toute la différence entre eux et nous .

Ils n'ont jamais cédé . Cela dit , ils n'ont pas triché sur ce point car ils ont toujours affirmé être des corps étrangers dans les pays conquis . Quand aux Portugais , eux , ils se sont mariés et ont fait des enfants au Brésil , au Mozambique , en Angola , à Macao , etc . Les Anglais ne se sont jamais mariés nulle part . Les Latins ont épousé et enfanté , les Anglais jamais .
  Sitôt arrivés aux Indes , au Moyen-Orient , en Asie , en Océanie , les Anglais ont présenté un style qu'il était de bon ton de copier . On leur doit l'expression "Wog" , white oriental gentleman , qui est restée . Les journalistes anglais ne m'ont jamais interrogé qu'en anglais alors que certains parlaient un français parfait .
  Les Anglais sont des colonialistes mais , contrairement aux Français , ne sont pas entêtés . Ils se sont imposés au monde grâce à cette sorte d'imperméabilité qui m'a toujours impressionné . Ils ont pénétré le monde et le monde a glissé sur eux comme l'eau sur les plumes du canard .



  Faire du commerce pour l'aristocratie anglaise n'a jamais été quelque chose de dégradant . En Françe , c'était tout le contraire . En conséquence de quoi , les Anglais ont gardé le pouvoir et l'argent . Nos voisins savent parfaitement ce que c'est que d'avoir les mêmes pratiques depuis des siècles . La règle était de ne pas se mélanger . On restait dans son monde . On faisait partie de son club , on se saoulait , mais en gardant son quant-à-soi . Il y a là une prodigieuse culture de caste qui doit tenir depuis la bataille d'Hastings .

Le latin a été longtemps la langue commune aux Anglais et Français . Quand ils se rencontraient en cottes de mailles , c'est en latin qu'ils échangaient à grands coups de masse .
  La marine n'étant plus le seul myen de faire du commerce , les Anglais l'ont abandonnée comme une vieille chaussette . De même qu'ils ont abandonné leur suprématie sportive . Aujourd'hui , les marins suisses brillent en régate et au large .
  Mais la domination des Anglais reste car leur langue régit le monde du commerce électronique . Cette période a moins d'éclat que la précédente . Une bourgeoisie d'affaires chassant l'autre grâce à l'enchaînement des doctrines capitalistes .

Olivier de Kersauson , Ocean's Songs .

vendredi 27 mai 2011

Chun-Ah-Chun


L'aspect général du Chinois Chun-Ah-Chun ne présentait rien de frappant . De taille plutôt menue , il était également maigre et étroit d'épaules , comme la plupart de ses compatriotes . Un touriste l'apercevant par hasard dans les rues de Honolulu l'eût pris sans hésiter pour une bonne pâte de Chinois , sans doute propriétaire d'une blanchisserie ou d'un magasin de confection très prospères . Encore son jugement eût-il été au-dessous de la vérité , car Chun-Ah-Chun possédait un caractère aussi heureux que l'était sa richesse , dont on ne connaissait même pas le dixième . On le savait à la tête d'une énorme fortune , voilà tout . Ah-Chun avait des yeux noirs en amandes , mais si petits qu'on eût dit des trous de vrille . Toutefois , ils était bien séparés et abrités sous le vaste frout d'un penseur .
  Car Ah-Chun se débattait avec des problèmes qui l'avaient sollicité toute sa vie . Non qu'il s'en tracassât outre mesure : philosophe par essence , qu'il fût coolie , multimillionnaire ou meneur d'hommes , son équilibre mental n'avait jamais varié . Il planait toujours dans la haute sérénité de son esprit sans se laisser griser par les faveurs de la fortune ni troubler par le mauvais sort . Tous les événements s'étaient heurtés à sa placidité sans l'ébranler , aussi bien les coups de fouet du surveillant dans les plantations de cannes , qu'un effondrement des prix du sucre quand il fut à son tour propriétaire de ces mêmes champs . Ainsi , du rocher invincible de sa sérénité il résolvait des difficultés qu'il est donné à peu d'hommes , et encore moins à un paysan chinois , d'aborder .
  Voici ce qu'il était en réalité : un paysan chinois né pour trimer toute sa vie comme une bête de somme , mais destiné à secouer le joug de la servitude comme le prince d'un conte de fées .
  Ah-Chun avait oublié son père , modeste fermier des environs de Canton ; il se souvenait moins encore de sa mère , morte quand il avait six ans . Mais il se rappelait fort bien de son oncle respectable , Ah-Kow , à qui il avait servi d'esclave de sa sixième à sa vingt-quatrième année . Il avait réussi  à lui échapper en s'engageant pour une période de trois ans comme coolie aux plantations de cannes d'Hawai , moyennant un salaire quotidien de cinquante cents .



Très perspicace , Ah-Chun savait observer de menus détails qui eussent échappé à quiconque .
 Trois années il peina dans les champs ; au bout de cette période il en savait plus long sur la culture de la canne que le surveillant et même que le directeur , et le maigre petit coolie eût surpris celui-ci par l'étendue de ses connaissances technniques sur la fabrication du sucre .
  Mais Ah-Chn ne s'était pas borné à ces seules études . Il voulait savoir comment on arrivait à posséder des usines et des plantations . Il aquit rapidement la conviction que les hommes ne s'enrichissent point par leur propre travail ; il s'en était déjà aperçu , ayant trimé lui-même une vingtaine d'années durant . Si ces favorisés atteignent la fortune , c'est grâce au labeur d'autrui . Les plus opulents sont ceux qui réussissent à faire travailler pour eux le plus grand nombre de leurs semblables .
  Aussi à l'expiration de son contrat , Ah-Chun plaça-t-il ses économies en asociation avec un certain Ah-Yung dans un petit magasin d'importation qu'il fonda et qui devint , par la suite , l'importante firme "Ah-Chun et Ah-Yung" , qui vendait toutes sortes de produits , depuis les soies de l'Inde et le ginseng jusqu'au guano et aux bricks pour le transport des coolies . En attendant que cette affaire se dévellopât , Ah-Chun en confia le soin à son associé et se placa lui-même comme cuisinier . Il connaissait si bien son métier qu'au bout de trois années il était chef de cuisine , le mieux payé d'Honolulu . Sa carrière semblait assurée et il commit une sottise en l'abandonnant , ainsi que Dantin , son patron , le lui signifia ; mais Ah-Chun lui répondit qu'il savait mieux que quiconque ce qu'il avait à faire . Pour la peine , il s'entendit traiter de triple idiot et reçut une gratification de cinquante dollars en sus des gages à lui dus .
  L'entreprise de Ah-Chun et Ah-Yung prospérant de plus en plus , pourquoi Ah-Chun serait-il resté cuisinier ?
  Cette histoire se passait à une époque où l'abondance régnait à Hawai . On plantait de la canne à tour de bras , mais les travailleurs faisaient défaut . Ah-Chun entrevit une chance de succès et se mit à importer de la main-d'oeuvre . Par ses soins , des milliers de coolies de la région de Canton débarquèrent à Hawai .et sa richesse commença de s'accroître . Il effectua des placements . Ses petits yenx bridés découvraient la bonne affaire là où les autres redoutaient de faire faillite . Il acheta pour un morceau de pain un vivier qui lui rapporta ensuite cinqs cents pour cent et constitua le point de départ d'une affaire qui lui permit de monopoliser le marché du poisson de tout Honolulu .
 Il ne recourrut pas à la publicité pour se faire connaître , il s'abstint de toute politique et ne joua pas à la révolution , mais il prévit les événements plus clairement et de loin que ceux-là mêmes qui les suscitaient .
  En imagination , il vit Honolulu transformée en une cité moderne , éclairée à l'électricité , en une époque où elle était qu'un misérable village malpropre , envahi par le sable et bâti sur n récif de corail .
  Alors il acquit du terrain . Il en acheta à des négociants en quête de capitaux immédiats , à des indigènes nécéssiteux , à des fils de famille débauchés , à des veuves , des orphelins et des lépreux déportés à Molokai . Au bout de quelques années , par un caprice du hasard , les parcelles appartenant à Ah-Chun furent recherchés pour l'édification d'entrepôts , de magasins , de cafés , d'hôtels . Il donnait à bail , prenait en location , vendait , achetait et revendait sans cesse .
  Mais là ne s'arrêtèrent point ses spéculations . Il prêta sans hésiter son argent à Parkinson , un capitaine déserteur à qui personne n'eût osé confier un sou . Dès lors , Parkinson se mit à entreprendre de mystérieux voyages dans la petite goélette Véga , et jusqu'à sa mort le renégat ne manqua plus de rien . Cepandant bien des années plus tard , Honolulu apprit avec surprise que les îles à guano de Drake et d'Acon venaient d'être cédées au "British Phosphate Trust" moyennant sept cent cinquantes mille dollars .
  Vint l'époque florissante du règne de Kalakaua , durant laquelle Ah-Chun paya trois cent mille dollars le droit d'importer de l'opium . S'il sacrifia une telle somme pour s'assurer le monopole de la drogue , les résultats de cette opération furent tout de même appréciables , car les bénéfices permirent au Chinois d'aquérir la plantation de Kalalau , laquelle , à son tour , rapporta trente pour cent pendant dix-sept ans et fut ensuite revendue pour un million et demi .
  Sous la dynastie des Kamehamehas , lomgtemps auparavant , Ah-Chun avait servi son pays en qualité de consul de Chine - poste qui n'était pas exclusivement honorifique .
  Kamehamehas IV régnant , notre Fils du Ciel changea de nationalité et devint sujet hawaien afin d'épouser Stella Allendale . Bien que sujette du roi à la peau brune , plus de sang Anglo-Saxon que de polynésien courait dans ses veines . De fait , le métissage se trouvait chez elle si atténué qu'on l'évaluait seulement à quelques huitièmes et seizièmes .
  Dans ces dernières proportions , elle se rattachait à sa bisaieule Paahao - la princesse Paahao , appartenant à la lignée royale . Le bisaieule de Stella , Allendale , un certain capitaine Blunt , aventrier anglais , s'était engagé au service de Kamehameha Ier , pour devenir plus tard chef tabou lui-même . Son grand-père était un capitaine baleinier de New Bedford et son propre père avait apporté en elle un léger mélange des angs italiens et portugais inoculés à la race anglaise . Hawaienne aux yeux de la loi , l'épouse de Ah-Chun se réclamait davantage de trois autres nationalités .
  A ce conglomérat de races , Ah-Chun vint ajouter l'élément mongol . Ainsi , les enfants que lui donna Mme Ah-Chun furent un trente-deuxième polynésiens , un sixième italien , un seizième portugais , un demi-chinois et pur onze-trente-deuxième anglo-américains . Il est probable que Ah-Chun se fût dispensé de prendre femme , s'il avait pu prévoir quelle surprenante famille allait résulter de cette union .
  Surprenante , elle l'était à plus d'un titre . D'abord par son extension . Il possédait quinze enfants , la plupart des filles . Les fils , au nombre de trois , étaient nés les premiers , puis vinrent les filles à intervalles réguliers jusqu'a concurrence de la douzaine . Non seulement c'était un couple des plus prolifiques , mais les enfants , sans exeption , se montraient exempts de toute tare et rutilants de santé . Cette jeune génération Ah-Chun était surtout remarquable par sa beauté . On eût dit que toutes les filles étaient belles - délicatement , idéalement belles ; les lignes généreuses de maman Ah-Chun avaient corrigé les angles aigus de papa Ah-Chun , si bien que les demoiselles Ah-Chun avaient une sveltesse sans maigreur et des muscles arrondis sans empâtement .



 Dans chaque visage subsistaient des réminiscences tenaces de l'Asie , modifiés par les apports anglo-saxons et latins . A première vue , on ne pouvait deviner l'importance de l'hérédité chinoise sur tous les traits ; mais , une fois prévenu , on ne manquait pas d'en déceler aussitôt les vestiges .
Les filles d'Ah-Chun présentaient un genre de beauté inédit et incomparable . Elles ne ressemblaient à personne , et malgré l'étrange similitude existant entres elles , chacune possédait une individualité bien marquée . On n'eût su les prendre l'une pour l'autre . Par exemple , Maud , blonde aux yeux bleus , rappelait immédiatement Henriette , au teint olivâtre , aux grands yeux sombres , langoureux et aux cheveux d'un noir-bleu . Les traits qui leur appartenaient en commun et harmonisaient les différences personnelles constituaient l'apport d'Ah-Chun . Il avait fourni le canevas sur lequel s'étaient brodées les caractéristiques des autres races . De lui provenait la faible armature du Chinois sur laquelle s'étaient modelées les délicatesses et les subtilités de la chair du Saxon , du Latin et du Polynésien .

Chun-Ah-Chun , Jack London

lundi 23 mai 2011

Le Père Peinard





Comment c’est venu, en quatre mots le voici: depuis un brin de temps, un tas d’idées me trottaient par la caboche, et ça me turlupinait rudement de n’en pas pouvoir accoucher. Voir cette fin de siècle, dégueulasse au possible, où tout est menteries, crapuleries et brigandages, - et assister la bouche close à tout ça: nom de dieu, je pouvais pas m’y faire !
Le sang me bouillait de voir les cochons du gouvernement s’engraisser à nos dépnes; de ces bougres-là, y en a pas un seul qui vaille mieux que l’autre. Dans les Chambres, de l’Extrême-Droite à l’Extrême-Gauche, il n’y a qu’un tas de salopiauds tous pareils: Cassagnac, Freppel, Ferry, Floquet, Boulanger, Basly et les autres, c’est tous des bouffe-galette !
La rosserie des patrons aussi me foutait en rage. Ces chameaux-là n’en fichent pas un coup ! Ils rappliquent à l’atelier une fois leur chocolat liché; ce qu’ils savent faire chouettement, c’est gueuler après les compagnons et palper la bonne argent, - sortis de là, il n’y a plus personne.
Y a bien les journalistes de métier qui pourraient parler et en dire long, contre les riches et les puissants; mais voilà ils trouvent plus profitable de rabâcher les vieilles balançoires. Le nez au cul des bourgeois, des financiers, des gouvernants, ils ne cherchent qu’à empocher des pièces de cent sous.
Et dam, comme ils y trouvent leur profit, ils sont muets comme des carpes. - Y a pas, c’est un truc épatant pour empêcher les chiens de mordre, que de les attacher avec des saucisses !...
Donc, je répétais souvent: y aura donc pas un gas à poil qui ait le nerf de gueuler toutes ces vérités, nom de dieu ?
A force d’y penser, d’en causer avec des copains, je me suis dit: «Pourquoi pas moi ? Si l’instruction est un peu de sortie, y a du bon sens dans ma caboche !...»

Naturellement, en ma qualité de gniaff, je ne suis pas tenu à écrire comme les niguedouilles de l’Académie: vous savez, ces quarante cornichons immortels, qui sont en conserve dans un grand bocal, de l’autre côté de la Seine.
Ah, non alors, que j’écrirai pas comme eux ! Primo, parce que j’en suis pas foutu, - et surtout parce que c’est d’un rasant, je vous dis que ça...
Et puis, il faut tout dire: la grammaire que j’ai eu à l’école ne m’ayant guère servi qu’à me torcher le cul, je ne saisis pas en quel honneur je me foutrais à la piocher maintenant.
Il est permis à un zigue d’attaque, de la trempe de bibi, de faire en jabotant ce que les gourdes de l’Académie appellent des cuirs.Et j’en fais, mille tonnerres, je suis pas bouiffe pour des prunes !
Pourquoi donc que je m’en priverais en tartinant ?
J’ai la tignasse embroussaillée, je la démêle, comme on dit, avec un clou, - je vois pas pourquoi je bichonnerais mes flanches ?
Est-ce des rabâchages de châtrés que je colle sur le papier ? - Je le pense pas, bon sang !
Eh bien, pour lors, à quoi ça serait utile de pommader mes phrases, puisqu’elles sont pas pondues pour les petits crevés, qui font leur poire un peu partout ?
Les types des ateliers, les gas des usines, tous ceux qui peinent dur et triment fort, me comprendront. C’est la langue du populo que je dégoise; et c’est sur le même ton que nous jabottons, quand un copain vient de dégotter dans ma turne et que j’allonge mes guibolles par-dessus ma devanture, pour aller siffler un demi-setier chez le troquet du coin.
Être compris des bons bougres, c’est ce que je veux, - pour le reste, je m’en fous !
Après ce dégoisage, comme il est de bon ton dans le premier numéro d’un canard de dire d’ousqu’on vient et ousqu’on va, je me fendis à la bonne franquette, du flanche ci-dessous, qui est, comme qui dirait

 

MA PROFESSION DE FOI

Profession.- Je l’ai déjà dite, au jour d’aujourd’hui, rapetasseur de savates; si vous préférez, gniaff, ou mieux, bouiffe.
Dans les temps, j’ai roulé ma bosse dans tous les patelins; j’ai fait un tour de France épatant, nom de dieu !
Pas besoin de dire que j’ai mis la patte à trente-six métiers.
Naturellement, j’ai pas dégotté de picaillons; c’est pas en turbinant qu’on les gagne.
Il n’y a qu’un moyen pour faire rappliquer les monacos dans sa profonde: faire trimer les autres à son profit.
Ce fourbi-là m’a toujours dégoûté, aussi j’ai pas percé.
Je n’en ai pas de regret: je préfère être resté prolo.
Pourtant, dans la flotte des métiers que j’ai faite il en manque un, celui de soldat.
Ça m’a toujours pué au nez d’être troubade. N’empêche qu’à l’époque, j’étais bougrement patriote, allez !
Mais, en jeune Peinard, ça ne me bottait pas d’aller faire connaissance avec le flingot, de faire par le flanc droit, par le flanc gauche, et de trimballer Azor.
Seulement, j’étais bien bâti, fortement campé sur mes guibolles.
D’autre part, mon paternel n’avait pas jugé à propos de tourner de l’œil pour m’exempter. Pas de cas potable à faire valoir, et surtout, pas de galette pour acheter un homme...
Nom de dieu, fallait se patiner, si je ne voulais pas partir, ainsi que mes frères et amis.
Naturellement, je ne tenais pas à me foutre un doigt en l’air, comme un tas de pochetées de la campluche, - ah non, alors !
Heureusement, j’ai un bobo ; et comme je suis pas mal fouinard, c’est lui qui m’a sauvé la mise. C’est une varice, petiote comme rien; le jour où je passai la révision, j’ai fait, dans la matinée, une sacrée nom de dieu de trotte. L’après-midi j’ai enfilé le costume du grand-père Adam et l’on m’a réformé illico.
C’est pas pour dire, mais y en a bougrement qui truquent dans les mêmes conditions. Parbleu, chacun tient à sa carcasse, - on n’en a pas de rechange, une fois usée, c’est pour de bon !

Nom de dieu de nom de dieu ! quand je pense tout de même aux couleuvres que j’ai avalées; quelles floppées, oh là là !
Naturellement, au temps où je gobais que les mômes poussaient sous les choux j’étais catholique.
Faut dire qu’à l’époque, même les types qui se disaient démocrates, laissaient les marchands d’eau bénite salir leur mômes; les faisaient baptiser, confirmer, communier, marier, etc.
Ils trouvaient ça simple, tout en étant libre-penseurs. - Et, sans remonter si haut, il est facile d’en dégotter de ces bougres-là, encore aujourd’hui.
Donc, comme tous les gosses, on m’a abruti avec les gnoleries chrétiennes.
Pourtant, c’est ce qui m’a passé le plus vite; une fois en apprentissage je me suis rapidement dégourdi.
Les marchands de prières nous prêchent le paradis: « C’est très bath, le paradis, que je me dis. Seulement, je le veux sur cette terre, de mon vivant. Quand j’aurai tourné de l’œil ce sera pour de bon, et si je coupais plus longtemps dans les boniments des rabâcheurs de patrenôtres, - je serais volé, mille bombes ! »
Je ruminais ça, à l’époque, sans bien savoir au juste; j’ai vu depuis que j’avais tout à fait raison.

Puis, j’ai avalé tous les bouquins qui me tombaient sous la patte, anciens et nouveaux.
Je gobais que la vie était pareille à ce que je lisais. Les romanciers de mon époque, c’étaient Alexandre Dumas, Victor Hugo, Eugène Süe ; et je voyais partout des d’Artagnan, des Rodin, des Esmeralda faisant danser leurs chèvres.
Je chantais la Lisette de Béranger, croyant que c’était arrivé; et je me disais avec ce blagueur:
Dans un grenier qu’on est bien à vingt ans.
Je t’en fiche: j’aime autant l’entresol !
C’était encore de l’illusion que je me foutais dans la bouillotte. La vie réelle, C’est pas ça !
Ah, les romans ! C’est une deuxième religion qui nous empoigne quand nous avons échappé à la première.
Quand donc, nom d’un pétard, qu’on viendra à l’éducation vraie et naturelle, qui nous montrera la vie telle qu’elle est, - et nous empêchera de prendre les vessies pour des becs de gaz !

Les grandes pommades dans lesquelles j’ai coupé épatamment, ce sont celles de la politique.
Aujourd’hui, j’en ai plein le dos; j’en ai soupé et pour de bon, - ça n’a pas toujours été pareil, j’ai été gobeur comme les copains, - plus gobeur qu’eux.
Et c’est seulement à force de me voir toujours roulé, toujours foutu dedans par les uns et les autres que j’en suis arrivé où je suis.
Comme de juste, j’ai d’abord été pour le gouvernement: à l’époque c’était l’empire. On racontait que l’empereur était un bon fieu, qu’il aimait le peuple et voulait son bien, et dam, je le croyais !
Il était le gouvernement ; conséquemment il avait raison, - ce que disaient les rouges était des menteries.
La République, nom de dieu, j’en avais un trac insensé.
C’est alors que j’ai fait la connaissance d’une vieille barbe de 48; il m’a décrassé un peu, le bougre !
Avec accompagnement de foutres de foutres, il m’a prouvé que la République était le plus chouette des gouvernements.
Il me montrait son chapeau pointu, large comme un parapluie: «Ça mon gas, c’est la République !» qu’il me disait.
Et je regardais le chapeau (qui aurait fait une chouette soupe, allez !) la larme à l’œil. Je comprenais pas bien le coup du chapeau ; mais j’avais encore la vénération de l’incompréhensible; et je m’inclinais, nom de dieu !
Justement, on venait de fonder l’Internationale : oups, il m’a affilié, ça n’a pas fait un pli.
Puis sont venues les années de grabuge; je me suis emballé après Rochefort, et le 4 septembre, j’ai braillé avec tout le monde: «Vive la République !»
Je croyais qu’elle nous donner à bouffer, - l’ancien de 48 me l’avait dit, - je t’en fous !
Ensuite, y a eu le siège: là, j’ai pris l’uniforme, être soldat comme ça, ça m’allait, crédien !
D’ailleurs, c’était pour défendre Paris; on a eu les belles choses que vous savez: les factions aux fortifs, les queues à la porte des boulangers, et nom de dieu, la capitulation !
J’en ai pleuré, vrai !
Après, je me suis mis avec la Commune, j’ai redéfendu Paris, me suis foutu des trempes avec les Versaillais. Et j’ai eu la veine de ne pas être piégé.
De suite après, je me suis installé dans mon échoppe et tout en ressemelant les ripatons du quartier, j’ai politicaillé.
J’ai été successivement pour Thiers, pour Barodet, pour Gambetta, pour Clémenceau, pour Rochefort, pour Joffrin, pour Vaillant.
J’étais pour me foutre à la queue du cheval de Boulanger, quand j’ai réfléchi et me suis dit:
«Et, merde, on se fout de toi, mon vieux Peinard !
«T’as trimé toute ta vie; t’as défendu la patrie en 70; t’as fait tout ce que tu devais faire, et t’es toujours dans la mélasse.
«Tous les jean-foutre en qui tu as eu confiance t’ont foutu dedans, - faut pas continuer à faire le daim !
«On te raconte un tas de choses, on te promet plus de beurre que t’en pourras manger - et rien ne vient !
«Les réformes après lesquelles tu cours depuis que tu es au monde, c’est de la fouterie.
«Faut plus t’occuper d’élever des hommes au pouvoir, pour qu’ils te fassent des pieds ne nez après.
«Faut faire ton bonheur toi-même !»
Alors j’ai passé une grande revue de tout ce qui m’est arrivé, depuis que je roule ma bosse par le monde.
Je me suis vu, braillant à pleine gueule, sans raison, - après n’importe quoi !
Puis, après des réflecs à perdre haleine, j’ai repris mes sens, grâce à une bonne chopine, et j’ai conclu: «Faut faire ton bonheur toi-même !
«Le moyen, c’est un brin de chambardement qui vienne mettre les choses en l’état où elles devraient être.»

Voilà, nom d’un foutre, ce que je dégoisias en 89. A cela, aujourd’hui, j’ai pas un iota à retirer !
Quand les jean-foutre de la haute ont vu que le caneton se développait, ils m’ont cherché pouille, - ils ont trouvé à qui parler ! Grâce aux copains gérants qui ont paré leurs coups de surins légaux, le caneton a résisté.
Autre chose, le Père Peinard a eu une sacrée veine : un peu partout, dans les cambrousses, comme dans les grandes villes, il s’est trouvé des bons bougres à qui il a tapé dans l’œil. Et les gars lui ont donné un bath coup d’épaule !
C’est pas le tout, en effet, de pisser des tartines à tire-larigot.
Faut encore que ces tartines soient lues, mille bombes !
C’est à ça que se sont attelés les fistons. Et pourquoi donc se sont-ils tant grouillés ?
Parce que le père Peinard n’a pas froid aux châsses, mille marmites !
Parce qu’il gueule toutes les vérités qu’il sait; même celles qui sont pas bonnes à dire ! Y en a qui vont jusqu’à affirmer qu’il a le caractère si mal bâti, que c’est surtout celles-là qu’il dégoise.
Et puis, parce qu’il y a autre chose, nom de dieu ! Si le père Peinard gueule dur et ferme, c’est pas par ambition personnelle: la politique... ouh là là, faut pas lui en parler !
Oui, voilà la grande binaise. Si les bons bougres gobent le père Peinard, c’est parce que le père Peinard est un bon bougre kif-kif à eux: il est resté prolo, tout en pissant des tartines, - et y a pas de pet qu’il fasse sa poire comme un daim.
Et, sacré tonnerre, il ne flanchera pas ! Il continuera son petit bonhomme de chemin, cognant dur sur les exploiteurs, braillant ferme après tout les fumistes, criant à la chien-lit derrière les députés et les sénateurs.
Et ça, en attendant le grabuge final, où on foutra en capilotade toute cette racaille.


Emile Pouget , Almanach du Père Peinard , 1894 .

dimanche 22 mai 2011

Interventionisme Décomplexé


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Tandis que de très nombreux hommes marchaient , le Cinquième Régiment d'Infanterie , choisi pour ouvrir la voie vers Mexico , était envoyé en hâte sur Galveston par voie ferrée . Nous rattrapâmes et dépassâmes très lentement ce train d'une longueur démesurée . Ses fenêtres étaient bondées de visages enjoués et dans l'attente . Tous des jeunes garçons : le défilé interminable d'une seule et unique image : des physionomies pleines de vie et hilares : des jeunes exclusivement . De tout jeunes hommes en bonne santé , des costauds bien plantés , à la tête tondue de près , à l'expression encore enfantine , le regard assuré et ardent , manifestement capables et efficaces , audacieux et trouvant là une expression à leur désir d'évasion et de voyager , comme la jeunesse y pousse irrésistiblement . Car les jeunes rêvent de servir , que ce soit à Tampico ou à Veracruz et ils sont enclins à aimer accomplir leur service militaire dans les pays étrangers et au-delà des mers .
La grand majorité des visages enjoués que l'on pouvait voir en face , dans ce convoi de l'armée , était typiquement américaine ; avec une dominante de blonds , dont certains l'étaient étonnement ; les bruns faisaient tâche parmi les clairs et on découvrait ainsi un échantillonage complet entre le jaune d'or aux yeux bleu clair , jusqu'aux yeux gris sombre et les cheveux d'un noir de jais , en passant par les tons plus riches virant au roux .
[...]
Mais , c'est tout un , je jurerai qu'il n'y avait pas un seul de ces heureux jeunes loups parmi tout cet heureux Cinquième Régiment - le fer de lance de notre percée vers le Golfe du Mexique - qui n'ait laissé derrière lui une belle amoureuse quelque part sur le territoire des Etats-Unis , et cela en tout bien tout honneur , bien sûr .
[...]


Je revois encore les soldats japonais lorsqu'ils montaient au combat . Il n'y a jamais eu une génération de jeunes gens désirant plus follement aller jouer le jeu rouge sang . Ils partaient affronter les Géants blancs du Nord presque avec dévotion , s'attendant parfaitement à ne pas en revenir et le désirant même , presque .
En prenant la mer pour le Sud , nos jeunes se comportent différement . C'est , avant tout pour eux , l'aventure . Evidemment , le patriotisme les anime alors qu'ils n'en avaient nullement conscience auparavant . Ils n'ont pas le sentiment d'aller affronter les Géants du Sud . Ils se racontent l'histoire du Fort Alamo et se remémorent en riant comment Sam Houston flanqua une tripotée à Santa Anna , le fameux jour de San Jacinto .
Bien sûr , ces garçons - bien de chez nous - à la face illuminée que les jambes démangeaient d'arpenter les vastes espaces et les pays lointains , finissaient par admettre - à condition qu'on les pousse dans leurs derniers retranchements - qu'il y en aurait peu , très peu , d'entre eux à se retrouver touchés à mort ou blessés . Et puis , à la réflexion - mais c'est une réflexion rare chez eux ( il vaudrait mieux dire une sorte de déviation émotionnelle ) - ils disaient : "et puis , après tout , à quoi sert donc la jeunesse si le risque n'en fait pas partie , si l'audace n'accompagne pas les hautes eaux de la marée et l'appogée de la vie ?"
Au fond , c'est une partie de plaisir : une sorte de pique-nique ... ; assez différent , bien sûr , de celui organisé par l'Ecole , le dimanche et de dimension autrement colossale , mais un pique-nique tout de même .
[...]
Alors , un jeunet ajoute : "Allos donc ! nous allons traverser le Mexique comme on se promène : ça sera une vrai balade pour vingt mille hommes ." Un plus vieux rétorque alors :
  - Ouais ! prenez d'abord cinq mille de ces hommes pour rétablir l'ordre au Mexique et laissez-les sur place avant de faire votre promenade à travers le pays !
  Un jeune Texan du Septième Régiment d'Infanterie : " Ouh ! pas si c'est des gars d'chez nous ; q' j' vous dise qu'on leur a flanqué un' sacrée frousse - nous aut'Texans - qu'y n'oublierons plus .
Savez , j'ai entendu pu d'un Mexicain jurer qui n' ferait qu'une bouchée des Etats-Unis si l' Texas s'en détachait , et ben j'suis sûr qu' c'est vrai ! "

Le Mexique Puni , Jack London , 1914 .

vendredi 20 mai 2011

Chromosome XX

Il y a aussi la femme ! Une moitié de l'humanité est faible , essentiellement malade , changeante , inconstante , - la femme a besoin de la force pour s'y cramponner , il lui faut une religion de la faiblesse qui la glorifie , comme s'il était divin d'être faible , d'aimer et d'être humble , - la femme règne si elle parvient à subjuger les forts . La femme a toujours conspiré avec les types de la décadence , avec les prêtres , contre les "puissants" , les "forts" , les hommes - . La femme met à part les enfants pour le culte de la piété , de la compassion , de l'amour ; - la mère représente l'altruisme d'une façon convaincante ...

Nietzsche , La Volonté de Puissance


jeudi 19 mai 2011

Martin Eden

Mais Martin ne se préoccupait pas des apparences . Il n'avait pas été long à remarquer l'esprit cultivé de l'autre et à apprécier son bagage scientifique . De plus , le professeur Caldwell se différenciait de l'ordinaire conception du professeur anglais . Martin voulait l'amener à parler "métier" et , malgré quelques difficultés au début , il y réussit . Martin ne comprenait pas pourquoi les gens ne veulent pas parler "métier" .

  - C'est absurde et ridicule , avait-il déclaré à Ruth la semaine précédente , cette aversion de parler "boutique" . Pourquoi les hommes et les femmes se réunissent-ils , sinon pour échanger ce qu'ils ont de mieux en eux-mêmes ? Et ce qu'ils ont de mieux , c'est ce qui les intéresse , leur spécialité , leur raison de vivre , ce qui les fait réfléchir et rêver . Imaginez M.Butler énonçant des idées sur Verlaine ou l'art dramatique allemand , ou les romans de D'Annunzio ? ... Ce serait à mourir d'ennui ! Pour ma part , si je suis absolument obligé d'écouter M. Butler , je préfère l'entendre parler code . C'est ce qu'il connaît le mieux , et la vie est si courte que je veux obtenir de tout être le meilleur de ce qu'il peut donner .

  - Mais , avait objecté Ruth , il existe des sujets d'intérêt général .
  - C'est là où vous faites erreur , avait-il poursuivi . En général les individus ont une tendance à singer ceux dont ils reconnaissent la supériorité , qu'ils érigent en modèles . Et qui sont ces modèles ? Les oisifs , les riches oisifs . Ils ne savent rien , généralement , de ce que savent ceux qui travaillent et s'ennuieraient à mourir de les entendre causer de ce qui les occupe ; aussi décrètent-ils que ce genre de conversation c'est parler "metier" , ou mieux encore "boutique" et que parler "boutique" est mauvais genre . Les oisifs décident également des choses qui ne sont pas "boutique" et dont on peut parler : le dernier opéra , le livre du jour , le jeu , le billard , les cocktails , les voitures , les réunions hippiques ,la pêche à la truite , les chasses au grand fauve , le yatching , etc. , car , notez-le bien , ces sujets-là , les oisifs les connaissent . En sommes , c'est leur façon , à eux , de parler boutique . Et , ce qu'il y a de plus drôle , c'est que beaucoup de gens intelligents , et tous ceux qui font semblant de l'être , permettent aux oisifs de leur imposer la loi . Quand à moi , je veux d'un homme ce qu'il a de mieux en lui , appelez ça "boutique" , "métier" , ou ce que vous voudrez .

  Et Ruth n'avait pas compris . Cette attaque contre les valeurs établies lui avait paru très arbitraire .
Donc , Martin , communiquant au professeur Caldwell un peu de sa propre intensité , l'avait forcé à exprimer ses idées . En passant près d'eux , Ruth entendit Martin qui disait :
  - Sûrement , vous ne professez pas de telles hérésies à l'Université californienne ?
Le professeur Caldwell haussa les épaules .
  - La fable de l'honnête contribuable et du politicien , vous comprenez ! Sacramento distribue les emplois et c'est pourquoi nous donnons notre approbation à Sacramento ,où le Conseil d'administration des Régents tient la presse de notre parti , ou même la presse des deux partis .
  - C'est clair ; mais vous-même ? insista Martin . Vous devez être comme un poisson dans le sable ?
  - Il y en a peu de mon espèce , dans la mare universitaire . Evidemment , quelquefois , je me sens dépaysé , je sens que je serais mieux à Paris , ou dans Grub Street , ou dans une grotte d'ermite , ou parmi la bohème la plus échevelée , dans un restaurant bon marché du Quartier Latin , à vocérer des opinions radicales , devant un auditoire tumultueux . Je crois vraiment que j'étais fait pour être radical . Mais voilà ... il y a trop de questions dont je ne suis pas certain . Je deviens timide lorsque je me trouve en face de ma chétive personnalité  , qui m'empêche de saisir tous les facteurs d'un problème , des grands problèmes humains , vitaux .
  Et tandis qu'il parlait encore , Martin s'aperçut qu'il avait sur les lèvres la "Chanson des vents alizés" :

I am strongest at noon                                                 Je suis le plus fort à midi
But under the moon                                                    Mais c'est sous la lune
I stiffen the bunt of the sail                                          Que je tends la toile


Il en chantonna les paroles presque à mi-voix et se rendit compte que l'autre lui rappelait ces vents alizés du nord-est , frais , continus et puissants . Il était impartial , on pouvait compter sur lui et il avait en lui une sorte de réserve qui en imposait . Martin eut l'impression qu'il ne révélait jamais sa pensée entière , comme il avait souvent eu l'impression que les alizés ne soufflent jamais ne soufflent jamais tout ce qu'ils peuvent , mais gardent toujours des réserves de forces inemployées . Le pouvoir imaginatif de Martin était aussi puissant que jamais . Quoi qu'il arrive , il se présentait à son cerveau des associations d'antithèses ou de similitudes qui s'exprimaient presque toujours en visions , d'une façon automatique . De même que le visage de Ruth jalouse lui avait rappelé une bourrasque polaire au clair de lune , de même le professeur Caldwell lui fit revoir les vents alizés fouettant la blanche écume des vagues d'une mer pourprée . De même , à tous moments , évoquées par un mot , une phrase , de nouvelles visions lui apparaissaient , sans pour cela rompre le fil de ses sensations actuelles , en les classant au contraire , en les identifiant avec les actions ou les faits du passé .

  Tout en écoutant l'élocution élégante du professeur , sa conversation d'homme intelligent , lettré , Martin continuait à se voir dans le passé . Il se vit jeune , coiffé d'un Stetson rejeté en arrière , en pardessus court , large des épaules , se dandinant légèrement , conscient de représenter le plus parfait type du "dur" . Il ne chercha pas à pallier le fait ni à l'excuser . A une certaine époque de sa vie , il n'avait été qu'un vaurien quelconque , chef d'une bande qui mettait la police sur les dents et terrorisait les honnêtes ménagères .

Son idéal avait changé depuis ... Il embrassa l'assemblé élégante , bien élevée , respira profondément cette atmosphère raffinée et vit en même temps le spectre de son adolescence traverser le salon , en se dandinant , et venir causer avec le professeur Caldwell .

Martin Eden , Jack London .