samedi 21 juin 2014

« L'après midi à l'Institut Allemand, rue Saint Dominique. Là, entre autres personnes, Merline, grand, osseux, robuste, un peu lourdaud, mais alerte dans la discussion ou plutôt dans le monologue ; Il y a, chez lui, ce regard des maniaques, tourné en dedans qui brille comme au fond d'un trou. Pour ce regard, aussi, plus rien n'existe ni à droite ni à gauche ; on a l'impression que l'homme fonce vers un but inconnu. « J'ai constamment la mort à mes côtés » - et, disant cela, il semble montrer du doigt, à côté de son fauteuil, un petit chien qui serait couché là. Il dit combien il est surpris, stupéfait, que nous, soldats, nous ne fusillions pas, ne pendions pas, n'exterminions pas les Juifs - il est stupéfait que quelqu'un disposant d'une baïonnette n'en fasse pas un usage illimité ; « Si les bolcheviques étaient à Paris, ils vous feraient voir comment on s'y prend ; ils vous montreraient comment on épure la population, quartier par quartier, maison par maison. Si je portais la baïonnette, je saurais ce que j'ai à faire. » J'ai appris quelque chose, à l'écouter parler ainsi deux heures durant, car il exprimait de toutes évidences la monstrueuse puissance du nihilisme. Ces hommes là n'entendent qu'une mélodie, mais singulièrement insistante ; Ils sont comme des machines de fer qui continuent leur chemin jusqu'à ce qu'on les brise. Il est curieux d'entendre de tels esprits parler de la science, par exemple de la biologie. Ils utilisent tout cela comme auraient fait les hommes de l'âge de pierre ; c'est pour eux uniquement un moyen de tuer les autres. La joie de ces gens-là, aujourd'hui ne tient pas au fait qu'ils ont une idée. Des idées ils en avaient déjà beaucoup ; ce qu'ils désirent ardemment, c'est occuper des bastions d'où pouvoir ouvrir le feu sur de grandes masses d'hommes, et répandre la terreur. Qu'ils y parviennent et ils suspendent tout travail cérébral, qu'elles qu'aient été leurs théories au cours de leur ascension. Ils s'abandonnent alors au plaisir de tuer ; et c'était cela, cet instinct du massacre en masse qui, dés le début, les poussait en avant, de façon ténébreuse et confuse. Aux époques ou l'on pouvait encore mettre la croyance à l'épreuve, de telles natures étaient plus vite identifiées. De nos jours, elles vont de l'avant sous le capuchon des idées. Quant à celles-ci, elles sont ce qu'on voudra ; il suffit, pour s'en rendre compte, de voir comme on rejette ces guenilles, une fois le but atteint. »


dimanche 11 mai 2014

Ce qui me surprend le plus, quand j'embrasse du regard les grands destins de l'homme, c'est d'apercevoir toujours le contraire de ce que Darwin et son école voient ou veulent voir aujourd'hui : la sélection au profit des plus forts, des mieux partagés, le progrès de l'espèce. Le contraire est partout saisissable : l'annulation des coups de chance, l'inutilité des types supérieurs, l'inévitable domination des types moyens et même inférieurs à la moyenne. A supposer que l'on ne nous montre pas pour quelle raison l'homme est l'exception parmi les créatures, j'incline à présumer que l'école de Darwin s'est partout trompée.




vendredi 9 mai 2014

"Le christianisme, qui n'avait su ni vaincre ni mourir, fit alors comme tous les conquis. Il reçut la loi et paya l'impôt. Pour subsister, il se fit agréable, huileux et tiède. Silencieusement, il se coula par le trou des serrures, s'infiltra dans les boiseries, obtint d'être utilisé comme essence onctueuse pour donner du jeu aux institutions et devint ainsi un condiment subalterne, que tout cuisinier politique put employer ou rejeter à sa convenance. On eut le spectacle, inattendu et délicieux, d'un christianisme converti à l'idolâtrie païenne, esclave respectueux des conculcateurs du Pauvre, et souriant acolyte des phallophores. Miraculeusement édulcoré, l'ascétisme ancien s'assimila tous les sucres et tous les onguents pour se faire pardonner de ne pas être précisément la volupté, et devint, dans une religion de tolérance, cette chose plausible qu'on pourrait nommer le catinisme de la piété.

"

samedi 3 mai 2014

« Ah! oui, dans les sagas de l'Islande. Les réprouvés de ce temps-là étaient des hommes qui ne voulaient pas se plier aux règlements des castes et des familles et qui pour cette raison furent chassé des régions de l'ordre. Ils avaient le droit de conserver leurs armes, mais tous ceux qui étaient plus forts qu'eux pouvaient impunément les tuer. C'étaient toujours les hommes les plus guerriers qui refusaient de s'incliner devant les misérables convenances et qui pour cette raison furent mis hors la loi. Mais peu à peu les honnis devinrent les honnisseurs, les tribus dépérirent parce qu'elles s'étaient amputées de leurs forces les plus combatives; puis un jour les réprouvés sortirent des bois où ils s'étaient réfugiés et finalement ils furent quand même les maîtres du pays. »

 

samedi 29 mars 2014

Les Francs, peuples fameux, réunis en corps de nation par la main de Dieu, puissants dans les combats, sages dans les conseils, fidèles observateurs de la foi des traités, distingués par la noblesse de la stature, la blancheur du teint et l’élégance des formes, de même que par leur courage, et par l’audace et la rapidité de leurs entreprises guerrières, ces peuples, dis-je, récemment convertis à la foi catholique, dont jusqu’ici aucune hérésie n’a troublé la pureté, étaient encore plongés dans les ténèbres de l’idolâtrie, lorsque, par une secrète inspiration de Dieu, ils sentirent le besoin de sortir de l’ignorance où ils avaient retenus jusqu’alors et de pratiquer la justice et les autres devoirs sociaux. Ils firent, en conséquence, rédiger la loi Salique par les plus anciens de la nation, qui tenaient alors les rênes du gouvernement. Ils choisirent quatre d’entre eux, nommés Wisogast, Bodogast, Salogast et Widogast, habitant les pays de Salehaim, Bodohaim, Widohaim, qui se réunirent pendant la durée de trois assises, discutèrent, avec le plus grand soin, les sources de toutes les difficultés qui pouvaient s’élever ; et, traitant de chacune en particulier, rédigèrent la loi, telle que nous la possédons maintenant.
A peine le puissant roi des Francs, Clovis, eut-il été appelé, par une faveur céleste, à jouir, le premier de sa nation, de la grâce du baptême ; à peine Childebert et Clotaire eurent ils été revêtus des marques distinctives de la royauté, qu’on les vit s’occuper à corriger les imperfections que l’expérience avait fait découvrir dans ces lois.
Gloire aux amis de nation des Francs ! que Jésus-Christ, le souverain des rois, veille sur les destinées de cet empire ; qu’il prodigue à ses chefs les trésors de sa grâce ; qu’il protégé ses armées, et fortifie ses peuples dans la foi chrétienne ; qu’il leur accorde des jours de paix et de bonheur !
C’est en effet cette nation qui, forte par sa vaillance, plus que par le nombre de ses guerriers, secoua par la force des armes le joug que les Romains s’efforçaient d’appesantir sur elle ; ce sont ces mêmes Francs qui après avoir reçu la faveur du baptême, recueillirent avec soin les corps des saints martyrs, que les Romains avaient livrés aux flammes, au fer et aux bêtes féroces ; et prodiguèrent l’or et les pierres précieuses, pour orner les châsses qui les contenaient.




samedi 4 janvier 2014

"Le Dr. Mayfield continua. Wilt, qui fixait dehors le nouveau bâtiment consacré à la branche électronique, se demanda pour la millième fois ce qui faisait qu'un comité transforme toujours des hommes et des femmes cultivés, relativement intelligents et possesseurs de titres universitaires, en gens acerbes, ergoteurs et ennuyeux, dont le but unique est de s'écouter parler et de prouver aux autres qu'eux seuls possèdent la vérité.Et le Tech n'était plus dirigé que par des comités.
Il avait connu une époque où il pouvait arriver le matin et passer des journées entières à enseigner ou, du moins, à essayer d'éveiller la curiosité intellectuelle de tous ces jeunes, qu'ils soient tourneurs ou ajusteurs et jusqu'à des platriers ou des imprimeurs; et même s'il ne leur avait pas appris grand-chose, il pouvait rentrer chez lui à la fin de la journée en sachant que lui, au moins, s'était un peu enrichi à leur contact.
Maintenant, tout a changé, même son titre. "Responsable des Humanités" s'est mué en "Chargé des aptitudes à la communication et à la réalisation par l'expression"; et il passe le plus clair de son temps soit en réunions de comités, soit à rédiger des mémoires ou des comptes rendus, soit enfin à lire des textes, le plus souvent sans queue ni tête, que les autres lui envoient; et c'est la même chose partout dans le Tech. C'est ainsi que le responsable de la branche Bâtiment, aux aptitudes littéraires notoirement douteuses, a dû justifier son programme de maçonnerie "Briques et Plâtre" dans une étude de quarante-cinq pages intitulée Construction modulaire et application aux surfaces internes, un document si monumentalement ennuyeux et si bourré de fautes de grammaire que le Dr. Board a suggéré de le communiquer à l'Académie pour que lui soit attribuée une distinction en sémantique (cimentique?) architecturale. Il y a eu le même tollé à propos de la monographie commise par la responsable de la branche Restauration, intitulée Progrès diététiques par approvisionnement multiphase institutionnel. Le Dr. Mayfield avait fait tout un plat de ses "Bouchées à la Reine" où l'on prenait, disait-elle, un plaisir royal à sucer les pointes d'asperges avant de les croquer à petits coups, une expression qui, selon lui, pouvait suggérer des visions malsaines à certaines esprits mal tournés. Le Dr. Cox, responsable des Sciences, ayant demandé qu'on lui précise ce qu'il y avait de si incongru à mettre des asperges dans les Bouchées à la Reine, le Dr. Mayfield avait dû lui expliquer les possibles sous-entendus; la responsable Restauration avait alors aggravé son cas en proclamant qu'elle était absolument hostile aux membres mâles d'une société aussi grivoise. Wilt, resté en dehors de toute cette controverse, s'était demandé en silence, comme il le faisait maintenant, d'où vient cette curieuse idée très récente que les mots peuvent changer les choses. Un cuistot est un cuistot, n'en déplaise au titre de "Savant culinaire" dont on l'affuble. Quant à l'employé du gaz, lui donner du "Spécialiste en liquéfaction et gazéification" ne change rien au fait qu'il n'a jamais suivi qu'une formation d'employé du gaz."




dimanche 24 novembre 2013



...Ce sont les plus bas instincts qui stimulent les hommes du Kali Yugä. Ils choisissent de préférence les idées fausses. Ils n'hésitent pas à persécuter les sages. L'envie les tourmente. La négligence, la maladie, la faim, la peur se répandent. Il y aura de graves sécheresses. Les différentes régions des pays s'opposent les unes aux autres...
Les livres sacrés ne sont plus respectés. Les hommes seront sans morale, irritables et sectaires. Dans l'âge de Kali se répandent de fausses doctrines et des écrits trompeurs...
On tuera les fœtus dans le ventre de leur mère et on assassinera les héros. Les Shudrâ prétendront se comporter comme des Brahmanes et les prêtres comme des ouvriers...
Des hommes qui ne possèdent pas les vertus des guerriers deviennent rois... Des savants seront au service d'hommes médiocres, vaniteux et haineux... Il y aura beaucoup de personnes déplacées, errant d'un pays à un autre... Les commerçants feront des opérations malhonnêtes. Ils seront entourés de faux philosophes prétentieux. Il y aura beaucoup de mendiants et de sans-travail. Tout le monde emploiera des mots durs et grossiers. On ne pourra se fier à personne. Les gens seront envieux. Nul ne voudra réciproquer un service rendu. La dégradation des vertus et la censure des puritains hypocrites et moralisateurs caractérisent la période de la fin du Kali. Il n'y aura plus de rois..."
 (Lingä Purânä : chap.40)

 "Les gens du Kali Yugä prétendront ignorer les différences des races et le caractère sacré du mariage (qui assure la continuité d'une race), la relation de maître à élève... Les hommes ne chercheront qu'à gagner de l'argent, les plus riches détiendront le pouvoir. Ceux qui posséderont beaucoup d'éléphants, de chevaux et de chars seront rois. Les gens sans ressources seront leurs esclaves...
Les chefs d'états ne protégeront plus le peuple mais, au moyen d'impôts, s'approprieront toutes les richesses. Les agriculteurs abandonneront leurs travaux de labours et de moissons pour devenir des ouvriers non spécialisés et prendront les moeurs des hors-castes. Beaucoup seront vêtus de haillons, sans travail, dormant par terre, vivant comme des miséreux...
Des gens souffrant de la sécheresse se nourriront de bulbes et de racines. Ils seront sans joies et sans plaisirs. Beaucoup se suicideront. Souffrant de famine et de misère, tristes et désespérés, beaucoup émigreront vers les pays où poussent le blé et le seigle...
Les hommes de peu d'intelligence, influencés par des théories aberrantes, vivront dans l'erreur. Ils demanderont à quoi bon ces dieux, ces prêtres, ces livres saints, ces ablutions ? "
(Vishnu Purânä : Livre VI, chap.1)

mercredi 20 novembre 2013













































Un enfant de choeur parut, précédant un vieux prêtre et, pour la première fois, Durtal vit servir réellement une messe, comprit l'incroyable beauté que peut dégager l'observance méditée du sacrifice. Cet enfant agenouillé, l'âme tendue et les mains jointes, parlait, à haute voix, lentement, débitait avec tant d'attention, avec tant de respect, les répons du psaume, que le sens de cet admirable liturgie, qui ne nous étonne plus, parce que nous ne la percevons depuis longtemps que bredouillée et expédiée, tout bas, en hâte, se révéla brusquement à Durtal. Et le prêtre, même inconsciemment, qu'il le voulût ou non, suivait le ton de l'enfant, se modelait sur lui, récitait avec lenteur, ne proférant plus simplement les versets du bout des lèvres, mais il se pénétrait des paroles qu'il devait dire, haletait, saisi, comme à sa première messe, par le grandeur de l'acte qu'il allait accomplir. Durtal sentait, en effet, frémir la voix de l'officiant, debout devant l'autel, ainsi que les Fils même qu'il représentait devant le Père, demandant grâce pour tous les péchés du monde qu'il apportait, secouru, dans son affliction et dans son espoir, par l'innocence de l'enfant dont l'amoureuse crainte était moins réfléchie que la sienne et moins vive. Et lorsqu'il prononçait cette phrase désolée: "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi mon âme est-elle triste et pourquoi me troublez-vous?" le prêtre était bien la figure de Jésus souffrant sur le Calvaire, mais l'homme restait aussi dans le célébrant, l'homme faisant retour sur lui-même et s'appliquant naturellement, en raison de ses délits personnels, de ses propres fautes, les impressions de détresse notées par le texte inspiré du psaume.