mercredi 20 février 2013



Hier soir, un millionnaire crétin, qui ne secouru jamais personne, a perdu mille louis au cercle, au moment même où quarante pauvres filles que cet argent eût sauvées tombaient de faim dans l’irréméable vortex du putanat ; et la délicieuse vicomtesse que tout Paris connaît si bien a exhibé ses tétons les plus authentiques dans une robe de couleur de la quatrième lune de Jupiter, dont le prix aurait nourri, pendant un mois, quatre-vingts vieillards et cent vingt enfant !
Tant que ces choses seront vues sous la coupole des impassibles constellations, et racontées avec attendrissement par la gueusaille des journaux, il y aura –en dépit de tous les bavardages ressassés et de toutes les exhortations salopes, – une gifle absolue sur la face de la Justice, et, -dans les âmes dépossédées de l’espérance d’une vie future, – un besoin toujours grandissant d’écraser le genre humain.
- Ah ! vous enseignez qu’on est sur terre pour s’amuser. Eh bien ! nous allons nous amuser, nous autres, les crevants de faim et les porte-loques. Vous ne regardez jamais ceux qui pleurent et ne pensez qu’à vous divertir. Mais ceux qui pleurent en vous regardant, depuis des milliers d’années, vont enfin se divertir à leur tour et, – puisque la Justice est décidément absente, – ils vont, du moins, en inaugurer le simulacre, en vous faisant servir à leurs divertissements.
Puisque nous sommes des criminels et des damnés, nous allons nous promouvoir nous-mêmes à la dignité de parfaits démons, pour vous exterminer ineffablement.
Désormais, il n’y aura plus de prières marmonnées au coin des rues, par des grelotteux affamés, sur votre passage. Il n’y aura plus de revendications ni de récriminations amères. C’est fini, tout cela. Nous allons devenir silencieux…
Vous garderez l’argent, le pain, le vin, les arbres et les fleurs. Vous garderez toutes les joies de la vie et l’inaltérable sérénité de vos consciences. Nous ne réclamerons plus rien, nous ne désirerons plus rien de toutes ces choses que nous avons désirées et réclamées en vain, pendant tant de siècles. Notre désespoir complet promulgue, dès maintenant, contre nous-mêmes, la définitive prescription qui vous les adjuge.
Seulement, défiez-vous !… Nous gardons le feu, en vous suppliant de n’être pas trop surpris d’une fricassée prochaine. Vos palais et vos hôtels flamberont très bien, quand il nous plaira, car nous avons attentivement écouté les leçons de vos professeurs de chimie et nous avons inventé de petits engins qui vous émerveilleront.
Quant à vos personnes, elles s’arrangeront pour acclimater leur dernier soupir sous la semelle sans talon de nos savates éculées, à quelques centaines de pas de vos intestins fumants ; et nous trouverons, peut-être, un assez grand nombre de cochons et de chiens errants, pour consoler d’un peu d’amour vos chastes compagnes et les vierges très innocentes que vous avez engendrées de vos reins précieux…
Après cela, si l’existence de Dieu n’est pas la parfaite blague que l’exemple de vos vertus nous prédispose à conjecturer, qu’Il nous examine à son tour, qu’Il nous damne sans remède, et que tout finisse ! L’enfer ne sera pas, sans doute, plus atroce que la vie que vous nous avez faite.
Mais, dans ce cas, Il sera forcé de confesser devant tous ses anges, que nous aurons été ses instruments pour vous consumer, car Il doit en avoir assez de vos visages ! Il doit être, au moins, aussi dégoûté que nous, cet hypothétique Seigneur ; il vous a, sans doute, vomi cent fois, et si vous subsistez, c’est qu’apparemment il a l’habitude de retourner à ses vomissements !
Tel est le cantique des modernes pauvres, à qui les heures de la terre, -non satisfaits de tout posséder, – ont imprudemment arraché la croyance en Dieu. C’est le Stabat des désespérés !
Ils se sont tenus debout, au pied de la Croix, depuis la sanglante Messe du grand Vendredi, – au milieu des ténèbres, des puanteurs, des dérélictions, des épines, des clous, des larmes et des agonis. Pendant des générations, ils ont chuchoté d’éperdues prières à l’oreille de l’Hostie divine, et – tout à coup -, ont leur dévoile, d’un jet de science électrique, ce gibet poudreux où la dent des bêtes a dévoré leur Rédempteur… Zut ! alors, ils vont s’amuser !

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