mardi 25 septembre 2012



« La vie intense est contraire au Tao », enseigne Lao-Tse, l’homme le plus normal qui fut. Mais le virus chrétien nous travaille : légataires des flagellants, c’est en raffinant nos supplices que nous prenons conscience de nous-mêmes. La religion décline-t-elle ? Nous en perpétuons les extravagances, comme nous perpétuons les macérations et les cris des cellules d’autrefois, notre volonté de souffrir égalant celle des couvents au temps de leur floraison. Si l’Eglise ne jouit pas du monopole de l’enfer, elle ne nous aura pas moins rivés à une chaîne de soupirs, au culte de l’épreuve, de la joie foudroyée et de la tristesse jubilante. L’esprit, aussi bien que le corps, fait les frais de la « vie intense ». Maîtres dans l’art de penser contre soi, Nietzsche, Baudelaire et Dostoïevski nous ont appris à miser sur nos périls, à élargir la sphère de nos maux, à acquérir de l’existence par la division d’avec notre être. Et ce qui aux yeux du grand Chinois était symbole de déchéance, exercice d’imperfection, constitue pour nous l’unique modalité de nous posséder, d’entrer en contact avec nous-mêmes. « Que l’homme n’aime rien, et il sera invulnérable » (Tchouang-tse). Maxime profonde autant qu’inopérante. L’apogée de l’indifférence, comment y atteindre, quand notre apathie même est tension, conflit, agressivité ? Nul sage parmi nos ancêtres, mais des inassouvis, des velléitaires, des frénétiques, dont il faudra bien que nous prolongions les déceptions ou les débordements. […] L’apprentissage de la passivité, je ne vois rien de plus contraire à nos habitudes. (L’époque moderne commence avec deux hystériques : Don Quichotte et Luther.) […] Le taoïsme m’apparaît comme le dernier mot de la sagesse : j’y suis pourtant réfractaire, mes instincts le refusent, comme ils refusent de subir quoi que ce soit tant pèse sur nous l’hérédité de la rébellion.

 La Tentation d’Exister

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